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"Au bord
de l'eau, à quelques mètres du rivage — là où l'épaisseur bleutée de la
mer et le jaune du fond de sable, en interférant, produisent une
coloration vert pâle —, par moins de un mètre de fond — le haut des
cuisses émergeant encore de l'eau —, sept ou huit baigneurs, hommes et
femmes, pensifs, ou tout au moins immobiles, observent avec attention
(...) les déplacements d'un bernard-l'ermite laissant derrrière lui de
minuscules empreintes striées sur les cannelures du sable, les
évolutions d'un petit rouget, creusant un entonnoir avec ses quatre
barbilles, ou, plus simplement, à la surface, les miroitements du
soleil".
L'Observatoire de Cannes, Éditions
de Minuit, 1961, p. 119.
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Jean Ricardou nous a
quittés soudainement, au bord de l'eau, à Cannes, le 23 juillet 2016.
Écrivain et théoricien, il s'apprêtait à animer à
Cerisy le 28ème séminaire de textique,
nouvelle discipline à laquelle, depuis 1989, il consacrait tous ses
efforts.
Conseiller à la programmation et à l'édition, il a fait bénéficier
pendant plus de 35 ans, dans tous les domaines, le Centre culturel
international de Cerisy de ses qualités d'intelligence et de rigueur.
Nous avons demandé à Mireille
Calle-Gruber, vice-présidente de l'Association des Amis de
Pontigny-Cerisy et qui l'a bien connu, de lui rendre ici hommage. De
Norvège, Bente
Christensen, amie de
longue date, a eu la gentillesse de nous faire parvenir un témoignage
d'amitié. D'autres textes lus par les texticiens, lors des obsèques de
Jean Ricardou, sont proposés en téléchargement ci-contre (L'Hommage
à Jean Ricardou).
Nous avons prié Jean-Christophe
Tournière, membre actif du groupe textique depuis 2006 et de
l'équipe de Cerisy depuis 2012, de nous dire ce que lui avait apporté
la textique et
quelles étaient les suites envisagées.
Par ailleurs, une journée d'hommage
a été organisée à Paris le 21 avril 2017 (flyer de présentation), aussi sera organisé, en
2019, à
Cerisy, un colloque international
autour de toute l'œuvre de Jean Ricardou.
Édith
Heurgon et l'équipe du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle
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Jean Ricardou
Du
Nouveau Roman à la Textique
Pratique,
pédagogie et théorie de l'écriture
Présentation par Edith Heurgon,
avec
le concours de Nicole Biagioli, Daniel Bilous et Gilles Tronchet
Éditeur : Hermann Éditeurs — 2018 (site
internet)
ISBN
: 978-2-7056-9518-7
En savoir plus
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Présents de Jean Ricardou
Actes
du Forum du 21 avril 2017
Sous la direction de Mireille
Calle-Gruber, Edith Heurgon et Marc Avelot
Éditeur : Les Impressions Nouvelles
— 2018 (site
internet)
ISBN
: 978-2-87449-598-4 |
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L'intégrale Jean Ricardou
Tome 1 (1957-1961)
L'Observatoire
de Cannes et autres écrits
Édition établie par Erica Freiberg
et Marc Avelot
Éditeur : Les Impressions Nouvelles
— 2018 (site
internet)
ISBN
: 978-2-87449-597-7 |
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L'intégrale Jean Ricardou
Tome 2 (1962-1966)
La
Prise de Constantinople et autres écrits
Édition établie par Erica Freiberg
et Marc Avelot
Éditeur : Les Impressions Nouvelles
— 2018 (site
internet)
ISBN
: 978-2-87449-616-5 |
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23 juillet 2018 -
Entretien avec Marc Avelot, réalisé par Johan Faerber, à l'occasion
conjointe de l’anniversaire de la disparition de Jean Ricardou et de la
parution des deux premiers tomes de son Intégrale aux Impressions
Nouvelles.
En ligne sur le site diacritik.com
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POUR JEAN RICARDOU,
par la vice-présidente de l'AAPC
À Cerisy, dans la mémoire des hôtes et dans celle de ce lieu séculaire
où il a longtemps œuvré à façonner la vie des rencontres, le souvenir
de Jean Ricardou n’est pas près de s’effacer: silhouette énigmatique
soigneusement composée et perpétuée, gracile, un peu féline, tout en
souplesse musclée, moulée dans l’éternel jeans-maillot noir sous
l’abondance des boucles de plus en plus grisonnantes. Les longues
rouflaquettes barrant les joues et les lunettes noires reportaient vers
les lèvres volontiers ironiques toute l’expression du visage. Ne pas
omettre le pendentif à son cou, quelque chose comme de la corne ou de
l’ivoire, une dent de sanglier, une corne d’abondance, un symbole
phallique ou apotropaïque, les hypothèses étaient sans fin. Le
personnage, iconique, se tenait ainsi hors de toute familiarité, ce qui
n’empêchait aucunement de sa part un accueil généreux à la chaleur
méditerranéenne.
Déconcertant à tous égards, il l’était: car il aimait jeter le trouble
dans les rencontres à l’unisson et les évidences les mieux partagées.
Jean Ricardou, ce fut le rocker du roman dans les années soixante-dix,
mais sa turbulence qui se méfiait des émotions cherchait à établir
"l’ordre dans la débâcle" — titre du premier article qu’il écrivit sur
La Route des Flandres de Claude Simon. Jean Ricardou, ce fut le
baroudeur de la littérature mais qui faisait dans la dentelle de la
phrase. Certains, lors de débats un peu âpres, le surnommèrent "Le
Saint-Just des Lettres", mais s’il était tranchant en séance de
colloque, il savait prendre le soin, lors des transcriptions qu’il
effectuait pour la publication des Actes, de rendre à chacun fidèlement
ses paroles.
Comme les chats, Jean Ricardou eut plusieurs vies. Des "Cerisy de
Ricardou", j’en sais au moins cinq.
Première vie à Cerisy. Dans les années soixante-dix, reprenant le mot
de "nouveau roman" au journaliste du Monde
Émile Henriot lequel avait, un jour de 1957, lancé cette expression,
somme toute banale, en désespoir de cause, ne sachant comment désigner
des romans de facture inclassable, Ricardou réussit à ré-inventer le
"Nouveau Roman" en "Nouveau Nouveau Roman": écrivant quatre livres de
théorie et quatre livres de fiction [1] (il aimait
souligner cette symétrie de sa production), et réunissant à l’enseigne
du colloque "Nouveau Roman, hier, aujourd’hui", en 1971 à Cerisy, avec
Françoise van Rossum Guyon, ceux qui allaient officialiser, de façon
éphémère, leur appartenance de "nouveaux romanciers": Michel Butor,
Claude Ollier, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute,
Claude Simon. Et Jean Ricardou, donc, le plus jeune. C’est de Claude
Simon, de vingt ans son aîné, qui appréciait ses travaux de théorie,
dont il fut alors, finalement, le plus proche (Colloque "Claude Simon",
1974). À l’opposé de Robbe-Grillet, Ricardou fit avec lui, le temps du
colloque qu’il lui consacra, un tandem explosif.
C’est à cette occasion qu’il m’invita à Cerisy. Je venais de terminer
une première thèse à Montpellier sur le Nouveau Roman, je la lui avais
envoyée, nous avions commencé une correspondance. Alors aux Affaires
étrangères en poste en Égypte, je découvrais un monde, une
effervescence intellectuelle insoupçonnée. Et bientôt, notamment, que
le Centre culturel international de Cerisy avait la faculté
d’accueillir de grands colloques universitaires pluridisciplinaires en
même temps qu’un espace de résistance au prêt-à-penser et aux
protocoles institutionnels.
Nouveau Roman: hier,
aujourd'hui (1971)
(Claude
Ollier, Jean Ricardou, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget)
© Archives Pontigny-Cerisy
La deuxième vie de Ricardou à Cerisy, ce fut l’instauration des
"ateliers du texte" à la fin des années soixante-dix [2].
Ou plutôt, comme il aimait le dire, "l’obstination de l’atelier" ("Le
Tout-à-lire", Micromégas, 1981). Le "groupe" Nouveau Roman, c’était
terminé, chacun suivait sa forme propre d’écriture (même si une
certaine critique continue à appliquer l’étiquette indistinctement à
des œuvres disparates). Poursuivant sa logique selon quoi le texte
s’écrit et l’auteur n’est qu’illusion idéologique, Ricardou embarqua
vers "Une nouvelle éducation textuelle" — sous-titre de son ouvrage
"mixte/Seuil" théorie/fiction, Le
théâtre des métamorphoses, paru en 1981 dans la collection
"Fiction & Cie" que dirigeait Denis Roche aux éditions du Seuil.
Nous avons formé un étrange attelage et beaucoup d’amitié autour de
Ricardou, toutes tendances réunies, littéraires, philologues,
philosophes, écrivains, théoriciens, qu’il s’efforçait, avec une
patience inépuisable et une férule tout aussi inépuisable, de convertir
à la radicale matérialité de l’écriture — avec profusion de
"textualisation", "scription", "scripture", "autoréflexivité de second
degré", etc., il professait qu’"Un lecteur averti en vaut deux"; qu’il
fallait remédier à la division du travail entre "ceux qui écrivent et
qui ne savent pas ce qu’ils font et ceux qui savent mais qui n’écrivent
pas"; n’hésitant pas à recourir à la polémique afin de protéger de la
"crétinisation de premier degré" et de la "crétinisation de second
degré" les lecteurs qui se laisseraient endormir par le "plaisir du
texte". Avec Ricardou, nous étions à l’école de l’effronterie et de
l’irrévérence, lui qui avait le front d’enseigner que tout texte est
"améliorable" et qui s’en prenait à Mallarmé, à Proust ou encore,
"prenait le risque", au Théâtre-Poème de Bruxelles, invité par Monique
Dorsel et Émile Lanc, "d’une OPA sur Flaubert, une Offre Publique
d’Amélioration" (Le Mensuel
littéraire et poétique, avril-mai 1988).
Je l’avoue, mon amour de la littérature fut le plus fort, j’abandonnai
bientôt l’atelier ricardolien. Mais j’ai gardé, et je sais que c’était
réciproque, une grande affection et le plus profond respect pour
l’engagement et les travaux de Jean Ricardou. Et aussi de la
reconnaissance pour ce que j’ai désappris auprès de lui. Lors d’une de
nos conversations téléphoniques où nous confrontions encore nos
divergences, il avait eu ces mots, très forts, qui m’émurent: "J’ai
trouvé ce que je cherchais, je suis dans une grande sérénité, que les
autres l’entendent ou non, c’est leur affaire".
Pour une théorie
matérialiste du texte, I & Littérature québécoise d’aujourd’hui
(1980)
(photo de groupe des participants à
l'atelier et au
colloque réunis: trombinoscope)
© Archives Pontigny-Cerisy
Sa troisième vie à Cerisy où il inventa "la Textique", lui consacrant à
partir de 1989, un séminaire annuel de dix jours ou d’une semaine et
plusieurs publications importantes aux Impressions nouvelles, je suis
trop ignorante pour en parler. La
cathédrale de sens (1988) qui joue dès la couverture avec "dans
tous les sens" "dans tous les sans" et avec "la cathédrale des sons"; Révolutions minuscules, republié
après réécriture, et précédé de "Révélations minuscules"; Une maladie chronique (1989); Intelligibilité structurale du trait:
TEXTICA 2 et Grivèlerie:
TEXTICA 3 (2012), marquent les jalons d’une réflexion toujours plus
rigoureusement formalisée. Son charisme a formé un groupe de fidèles
"texticiens" qui le suivent pour certains depuis plus de vingt ans
comme Marc Avelot, Daniel Bilous, Jean-Claude Raillon, Gilles Tronchet.
Nul doute qu’ils prendront la relève.
Textique: que dire
quant à la lecture? (2015)
(Gilles
Tronchet, Marc Avelot, Daniel Bilous, Jean Ricardou, Jean-Claude
Raillon)
© Archives Pontigny-Cerisy
Pendant ses trois vies, Ricardou en eut deux autres à Cerisy:
conseiller à la programmation et à l’édition du Centre culturel
international, il veillait aux apports intellectuels, assurait
l’articulation des programmes, la préparation d’ensemble et la
diffusion ainsi que le suivi des manifestations.
SIECLE - 100 ans de
sociabilités intellectuelles (2002)
(Edith
Heurgon, Jean Ricardou et Maurice de Gandillac)
© Archives Pontigny-Cerisy
Et puis, il y avait la
vie du joueur de pétanque: spontanéité, galéjades, hasards du jeu, la
rigueur textique envolée on riait aux éclats.
Textique: que dire
quant à la lecture? (2015)
(pétanque
mémoriale en souvenir de Jacques Peyrou; avec
Jean-Christophe
Tournière, Bernard Laisney, Danielle Treton, François Duchenne,
Jean-Claude Raillon,
Jean Ricardou, Marc Avelot, Edith Heurgon)
© Archives Pontigny-Cerisy
Auprès de Ricardou, nous avons été très sérieux, ratiocinant tout le
jour à la moindre pesée d’une lettre, et très insouciants, passant les
nuits à danser dans la cave du Château. Avec Ricardou, nous avons été
audacieux, lancés pleins d’enthousiasme dans l’aventure d’une première
revue La chronique des écrits en
cours, quatre livraisons en 1981 et 1982 (Marc Avelot, Mireille
Calle-Gruber, Michel Falempin, Daniel Fleury, Claudette Oriol-Boyer,
Benoît Peeters), et une présentation à la "Revue parlée" à Beaubourg
avec une communication de Jean Ricardou: "Une revue, aujourd’hui: pour
quoi faire?". Puis enchaînant sur l’aventure d’une seconde revue Conséquences (1er numéro automne
1983) qui eut, grâce aux Impressions nouvelles, une belle longévité.
Nous avaient rejoints à la rédaction Jan Baetens, José Calvelo, Michel
Gauthier, Patrice Hamel, John Lee, Guy Lelong, Jean-Claude Raillon.
Claudette
Oriol-Boyer s’en était allée fonder sa propre revue Texte en main.
J’aimais la vigilance de Jean Ricardou. Qu’il fût là, tenace, indompté,
ne lâchant rien, avait quelque chose de rassurant. Il faut que sa
pensée continue à vivre.
Comme s’il avait réussi à mettre aussi de l’ordre dans la débâcle
ultime du cœur, Jean Ricardou est mort le 23 juillet 2016, "chez lui",
sur la plage de Cannes, d’un arrêt cardiaque après avoir nagé pour
poser ses lignes de pêcheur le plus loin possible. C’est à décrire
cette plage et le mouvement récurrent des vagues près d’un corps
allongé qu’il avait consacré, 55 ans plus tôt, ses premières lignes
d’écriture déposées dans son roman L’Observatoire
de Cannes (1961):
Une
nouvelle vague déferle. Elle s’étend tout au long de la grève en une
nappe épaisse d’abord, de plus en plus mince ensuite, jusqu’à la
lisière ondulée du sable sec, dans les creux duquel, ici et là,
s’infiltrant déjà, elle a déposé des constellations d’ellipses
mousseuses.
Le corps de la jeune fille, entièrement submergée, n’est qu’une
silhouette floue, dont les contours sont déformés par la réfraction. |
Mireille
Calle-Gruber
[1] Jean Ricardou, L’Observatoire de Cannes, Minuit,
1961; La Prise de Constantinople,
Minuit, 1965; Les lieux-dits,
Gallimard, 1969; Révolutions
minuscules, Gallimard, 1971; Problèmes
du Nouveau Roman, Seuil, 1967; Pour
une théorie du Nouveau Roman, Seuil, 1971; Le Nouveau Roman, Seuil, 1973; Nouveaux Problèmes du Roman, Seuil,
1978.
[2] Le Texte (à
effets) de fiction (1977), Le Texte (à effets) de théorie (1978), Pour
une théorie matérialiste du texte, I (1980), Pour une théorie
matérialiste du texte, II (1981), Pour une théorie matérialiste du
texte, III (1982), Le Texte de fiction et sa théorie (1983), Comment
écrire la théorie?, I (1984), Comment écrire la théorie?, II (1985),
Initiation à la Textologie (1986).
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TÉMOIGNAGE D'UNE
AMIE DE NORVÈGE
"Je vous instruirai avec plaisir de
la partie technique de notre art et nous lirons ensemble les écrits les
plus remarquables". Jean Ricardou a choisi cette citation de
Novalis en exergue de son livre Pour
une théorie du Nouveau Roman, paru en 1971. Dans l'exemplaire
dont je dispose, j’ai noté ”Oslo, printemps 1972” — une année avant ma
première rencontre avec Jean; il est venu en Norvège, au printemps
1973, faire des conférences sur le sujet. Depuis, j’ai suivi son
enseignement — de près et de moins près — avec la plus grande
attention. Jean avait une intelligence hors du commun, une grande
honnêteté intellectuelle, un vrai désir de comprendre et de faire
comprendre. Chaque fois que je l’ai entendu et vu — car il utilisait
beaucoup le tableau noir — développer une pensée, j’ai été fascinée par
cet esprit si supérieur au mien.
Sa supériorité ne se traduisait pourtant pas en arrogance. Il traitait
tout le monde de la même façon, et prenait au sérieux toute question
posée avec sérieux, même si elle pouvait lui sembler élémentaire.
Sérieux ne veut cependant pas dire austère. Jean avait le sens de
l’humour et une bonne répartie. Nous avons beaucoup ri dans le groupe
de travail, et il était évident qu’il trouvait un grand plaisir à cette
recherche en commun.
Jean a eu une grande influence sur mon approche de "notre art": la
littérature, les textes. Je suis très triste d’avoir perdu un tel
maître à penser — et un ami — mais je suis aussi très reconnaissante
d’avoir connu Jean et d’avoir lu, avec lui, ”les écrits les plus
remarquables”.
Bente Christensen, Oslo
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APPORTS DE LA
TEXTIQUE ET DE JEAN RICARDOU / SUITE DES TRAVAUX
(version
remaniée par rapport à celle de la Newsletter d’août 2016)
Que vous ont apporté la
textique, et son inventeur Jean Ricardou?
Il est évidemment impossible, en quelques lignes, de rendre compte avec
justesse des enseignements d’une théorie
qui, dans sa dernière mouture, et sans ajouter ses nombreux corrélats,
se déploie sur environ... 1800 pages.
En outre, s’agissant de dégager certains des apports de la textique, plutôt que
de focaliser l'attention, fût-elle un peu avertie en la matière, sur
l'anecdotique subjectivité d’une personne, il semble plus instructif de
limiter cette attention au strict plan des idées, et de viser à montrer
en quoi telle discipline fait progresser l’intellection commune.
Sous tel angle, l’extrait suivant d’un propos de Jean Ricardou
(disponible dans son intégralité à partir du lien fourni plus bas), en
ce qu’il répond lui-même à une question interrogeant l’utilité de la textique, paraît assez
éclairant:
"JR: A quoi sert la textique? Cette question,
si peu qu'on y songe, ne compte point parmi les plus simples. Non que
la textique ne serve à rien, non qu'il soit difficile de préciser
certaines des siennes utilités, mais bien parce que, comme mainte autre
chose, elle peut être avantageuse, non seulement sous divers angles,
mais encore à diverses profondeurs. Du coup, préciser, sommairement,
certains services qu'elle semble pouvoir assez vite rendre, c'est
courir un péril: celui, en privilégiant, mieux sensibles, les bénéfices
immédiats, de repousser dans l'ombre tels autres, peut-être moins
flagrants, mais d'un plus haut prix. D'emblée j'avancerai donc que, en
tout cas pour certains, la textique présente des avantages rapides
(c'est ce qui incite le débutant intéressé à poursuivre l’effort), et,
si j'en crois mon expérience, des avantages ultérieurs moins attendus
(qui inclinent à devenir véritablement texticien).
Permettez-moi
de le préciser d'abord: la textique présente les avantages du recul
théorique. Si l'on compare les
divisions, qui distinguent, d'une part, les animaux "entre vertébrés et
invertébrés", et, d'autre part, entre "comestibles et incomestibles",
"nuisibles et utiles", l'on aperçoit que la première, théorique, tend à
se dégager de l'observateur, et que les deux autres, pratiques, sont, à
l'inverse, foncièrement liées à celui-ci. Elles rendent toutes leur
service, mais aucunement d'identique façon.
Les
classifications pratiques ont le puissant mérite d'autoriser la survie: quiconque est dépourvu d'un certain
savoir sur ce qui est comestible ou non, utile ou non, ne saurait guère
prétendre, n'est-ce pas, réussir "de vieux os". Et si l'on observe le
quotidien sous cet angle, l'on voit que c'est de mille manières, à tous
niveaux, sans cesse, qu'il est soumis au jugement "bon, pas bon".
L'avantage des classifications pratiques vient donc, précisément, de ce
qu'elles sont faites pour l'observateur
concret. Quant à leur
élaboration, elle procède, pour l'essentiel, nullement négligeable,
multimillénaire le plus souvent, d'une géographique accumulation
empirique.
Les
classifications théoriques ont l'insigne vertu de favoriser l'intellection: au lieu de répondre, immédiatement, à la
seule utilitaire demande "à quoi ça sert?", elles correspondent,
plutôt, à la question "comment ça marche?". L'avantage des
classifications théoriques vient donc, précisément, de ce qu'elles sont
faites par
un observateur excentré,
tendanciellement affranchi des œillères de l'utilitarisme immédiat.
Quant à leur élaboration, elle ressortit moins à un inventaire des choses sous l'emprise, au mieux, de notions
évidentes, qu'à une invention de concepts permettant de mieux voir, dans les
choses, ce qui, peut-être, n'était pas encore tout à fait vu. (...)".
(N°7/8 de la revue À travers champs consacré à la textique, où Jean Ricardou répond,
avec de nombreux exemples à l’appui, à deux questionnaires de
Jean-Pierre Depétris: http://www.textique.org/discipline/complements).
Comment envisagez-vous
la suite du travail textique?
Lors du Séminaire
de textique 2016, les membres du
groupe œuvrant en textique se sont réunis, non plus
autour du thème Nouvelles
questions
sur la lecture, mais, en somme,
autour de la question "Comment
réorganiser le travail textique?".
Ce sur quoi chacune
et chacun est tombé d’accord, c’est sur la nécessité de relancer les
deux instances du travail
collectif, à savoir le Cortext (Cercle Ouvert de Recherche
en TEXtique) et le Semtext (SEMinaire de TEXTique).
Le souci de
favoriser l'enforcissement du collectif, il apparaît de manière nette quant à
l’organisation du prochain Semtext en 2017: au nom de Jean Ricardou succède l'instance qu'il a lui-même construite
et animée, à savoir, englobant quiconque se trouve prendre part aux travaux, ce qui peut
prendre le nom de Collectif
Textique.
Si, pour l’heure,
l’avenir de la discipline est à envisager sans trop
d'inquiétude, c’est pour trois raisons.
La première, c’est
que, lors des séances du Semtext 2016, non seulement une commune volonté de poursuivre
le travail ensemble s’est aussitôt manifestée,
mais encore, malgré d’inévitables moments de flottements dus aux
circonstances exceptionnelles, et d’une tenue proche de celle à
laquelle s’est efforcée JR (par exemple avec le régulier recours au
"tableau noir"), un travail effectif a découlé de ce fort désir partagé.
La deuxième, c’est
que, lors de telles séances, de vives controverses
(par exemple autour de la notion de littérature, exaltante pour
certains, inopérante pour les texticiens), qui ont pu faire constater
que, JR absent, les débats ne versent pas pour autant dans de
douillettes complaisances, n’ont pas laissé d’éclater.
La troisième, c’est
que, selon les préoccupations des uns et des autres, plusieurs projets
de travaux ont été conçus.
Parmi lesquels la
révision de l'Intellection
textique (massif théorique de
référence qui s'étend sur plus de... 1500 pages) et l'élaboration d'applications textiques à des domaines très divers ("bande dessinée",
"cinéma", "philosophie", "poésie", "publicité", "street-art",
"typographie"...).
Dès lors, puisque
le respect de ces trois
règles capitales (à savoir produire
des travaux, les partager et
en débattre) a paru de la plus haute importance à toutes et
tous, il n’y a aucune raison de ne pas voir, au fil des années qui
viennent, la pensée
textique
continuer de s'approfondir.
Jean-Christophe
Tournière
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