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LES PSYCHANALYSTES
LISENT SPINOZA
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Mise à jour
05/10/2016
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DU MARDI 30 AOÛT (19 H)
AU MARDI 6 SEPTEMBRE
(14 H) 2016
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DIRECTION :
Silvia LIPPI,
Jean-Jacques RASSIAL
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ARGUMENT :
La philosophie de Spinoza comme la psychanalyse relèvent d’une éthique
du désir, concept clé pour l’une et pour l’autre. Elles se rejoignent
dans la thèse que l’homme n’est pas causa sui, autrement dit, il
méconnait ce qui cause son désir. Ainsi, une éthique du désir implique
une pensée déterministe: ce qui détermine structurellement le sujet est
inconnu par le désir. C’est dire que la saisie de soi d’un sujet en
passe nécessairement par ce que Lacan nomme "s’égaler à la structure".
Au final, l’adéquation à la structure, qui définit la joie selon
Spinoza, n’est peut-être pas si éloignée de la familiarité qui acquiert
l’analysant avec ce qui le détermine, et qui lui permet aussi de
transformer ses jouissances. Est-il donc pertinent de parler de "joie"
pour marquer la fin du parcours analytique? Y-a-t il une confluence
entre la joie, comme augmentation de la puissance d’exister, et le desêtre? Et quel rapport entre l’Amor intellectualis Dei, troisième
genre de connaissance, et la fin de l’analyse?
Ce seront donc les concepts fondamentaux de la psychanalyse (désir,
pulsion, affect, jouissance, structure, Autre...) qui seront
réinterrogés à partir de la philosophie de Spinoza, et cette dernière,
"revisitée" à partir de la théorie psychanalytique. Le colloque
s'adresse à des psychanalystes, philosophes, psychiatres, psychologues,
chercheurs en sciences sociales, et à tous ceux qui pensent que la
doctrine de Spinoza dépasse le champ de la philosophie théorétique.
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CALENDRIER
DÉFINITIF :
Mardi 30 août
Après-midi:
ACCUEIL DES
PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre, du colloque et des participants
Mercredi 31
août
Matin:
Silvia LIPPI
&
Jean-Jacques RASSIAL: Introduction
Nicolas
GUÉRIN: Pourquoi Spinoza n'était pas un Père de la
"Dio-logie"?
Après-midi:
Rocco RONCHI: Causa sui.
Causalité métaphysique et causalité psychique [enregistrement audio en
ligne sur
la Forge Numérique de la MRSH de l'Université de Caen
Normandie et sur le site France Culture]
Federico
LEONI: Causa sui.
Qu'est-ce qu'une cause, s'il y a de l'Un?
Jeudi 1er
septembre
Matin:
Bernard
TOBOUL: Le pathème
Silvia LIPPI:
L'inconscient adéquat, ou l'autre vérité des affects
Après-midi:
Claude
RABANT: Nisi durante
Corpore
Keren MOCK:
L'affect au regard de la langue
Gianluca
SOLLA: Errance et désir
Vendredi 2
septembre
Matin:
Marie
LENORMAND: Considérations sur le psynozisme
Jean-Marie
BROHM: "Une méditation non de la mort mais de la vie":
Jankélévitch, Morin, Thomas et les figures de la mort
Après-midi:
"J'admets
tout à fait ma dépendance à
l'égard de la doctrine de Spinoza" (Sigmund Freud, 28 juin 1931),
table ronde avec Franck
CHAUMON, Patrick MÉROT
et Alexandra de
SÉGUIN
Soirée:
Soirée musicale sur le thème de "Deus sive natura", animée par Jean-Marie BROHM, Uranie MICHET &
Laetitia
PETIT
Samedi 3
septembre
Matin:
Max KOHN:
Le problème Spinoza
Philippe
CASSUTO: Spinoza, grammairien hébreu
André MICHELS: Spinoza avec Freud.
Dimension politique de la psychanalyse
Après-midi:
DÉTENTE
Soirée:
Théâtre: La trace de Spinoza chez Flaubert, animée par Fabienne ANKAOUA & Stéphane VALENSI
Dimanche 4
septembre
Matin:
Jean-Jacques
RASSIAL: Actualité de la
querelle du spinozisme
Patrick
LANDMAN: Pourquoi ont-ils eu raison d'excommunier Spinoza?
Après-midi:
Marc
GOLDSCHMIT: Spinoza et l'ombilic de la psychanalyse. Élection
et circoncision
Emmanuel
BRASSAT: Le théologico-politique et l'inconscient à l’aveugle: Le politique après Freud à partir de
Spinoza
Soirée:
Variations musicales sur le thème de La Joie (et de la tristesse),
animée par Laetitia
PETIT
Lundi 5
septembre
Matin:
Michel JUFFÉ:
Frères en incroyance
Vittorio
MORFINO & Stefano PIPPA: Althusser entre Spinoza et
Lacan [texte lu par Silvia LIPPI]
Après-midi:
Alain SIMON:
L'imagination du temps
Silvia LIPPI
&
Jean-Jacques RASSIAL: Conclusions
Mardi 6
septembre
DÉPARTS
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RÉSUMÉS :
Philippe
CASSUTO: Spinoza, grammairien hébreu
Spinoza donne plus de quatre cent citations de la Bible hébraïque dans
le Traité Théologico-Philosophique,
publié de son vivant en 1670. Dans ses œuvres posthumes figure son Abrégé de Grammaire Hébraïque. Sa
grammaire est en rupture avec les précédentes dans la mesure où ce
n'est pas une grammaire de l'hébreu biblique, mais une grammaire de
l'hébreu, langue vivante. Elle n'aura pas de successeur jusqu'au XIXe
siècle, date à laquelle l'hébreu est considéré comme langue vivante. La
grammaire de Spinoza, écrite en latin, sera traduite en hébreu en 1905.
L'intervention rappellera également le 25e anniversaire de la levée de
l'excommunication de Spinoza de la communauté juive.
Dernières
publications
Oralité et
écriture dans la Bible et le Coran, Aix-en-Provence, Presses
Universitaires de Provence, 2014, 166 p.
Portiques de
grammaire hébraïque, Aix-en-Provence, 2014, Presses
Universitaires de Provence, 400 p.
Page personnelle: http://iremam.cnrs.fr/spip.php?article46
Nicolas
GUÉRIN: Pourquoi Spinoza n'était pas un Père de la "Dio-logie"?
On connait les hommages que Lacan rendait à Spinoza. Mais on sait moins
dans quelle mesure il s’en écartait parfois. Dans cette perspective,
quelle est la place du Dieu de Spinoza dans la distinction que Lacan
établit, passé un temps de son enseignement, entre théo-logie et
"dio-logie"? La théo-logie se répartit elle-même en fonction des deux
Dieux que Pascal mentionne dans son Mémorial,
soit le Dieu sujet supposé savoir, celui des philosophes et des savants
d’une part, et, d’autre part, le Dieu Révélé, celui des prophètes, qui
parle et qui agit. La "dio-logie", quant à elle, ne s’engage ni à
fonder en raison la connaissance de Dieu, ni à avancer une quelconque
promesse prophétique. Lacan semble pourtant davantage l’estimer que la
théo-logie. Selon lui, la "dio-logie" s’étage des trois Pères qui vont
de Moïse à James Joyce, en passant par Maître Eckhart. Et c’est Freud
qui lui marque le mieux sa place. Quelle est donc, pour la
psychanalyse, la place de cette "dio-logie", séparée de ladite
théo-logie? Spinoza s’y inscrit-il implicitement, entre Maître Eckhart
et James Joyce, ou en est-il exclu et, si oui, pourquoi?
Nicolas Guérin, psychanalyste, est
maître de
conférences à Aix-Marseille Université.
Michel JUFFÉ:
Frères en incroyance
Freud, contrairement à certaines affirmations, n’a jamais lu Spinoza,
qu’il mentionne quatre ou cinq fois dans son œuvre et sa
correspondance. Il refusa de contribuer à un ouvrage collectif pour le
tricentenaire de la naissance de Spinoza, par "incompétence" (1932).
Pourtant la communauté d’esprit entre eux est flagrante: le refus de
toute transcendance, l’importance du désir dans la conduite humaine, la
critique des textes sacrés et des mythologies en général, la pleine
appartenance des hommes à la Nature, la "foi" (si l’on peut dire) en la
Raison, la préexistence de l’insu au su (appétit sans conscience pour
l’un, inconscient pour l’autre) ... mais aussi le rôle pacificateur de
la religion lorsqu’elle est débarrassée des superstitions. En revanche,
ils s’opposent — à distance — sur des questions aussi cruciales que
l’existence d’une pulsion de mort (à ne pas confondre
avec un désir de destruction), la place de la sexualité dans la
"persévérance dans l’être" et dans les maladies de l’âme, l’importance
du complexe d’Œdipe, le personnage de Moïse et le destin du peuple
juif, et, constamment en filigrane et parfois au premier plan, le statut de la connaissance. Je
parlerai rapidement des points d’accords pour questionner plus avant
les thèmes d’oppositions, qui peuvent, retravaillés, nous [psychanalystes, philosophes
et anthropologues] mener au-delà de Spinoza et de Freud, dans la
perspective du "salut de l’âme".
Publications
La
tragédie en héritage, de Freud à
Sophocle, Eschel, 1999.
Expériences de la perte,
Colloque de Cerisy, 2004.
Sigmund
Freud - Benedictus de Spinoza, Correspondance, 1676-1938,
Gallimard, mars 2016.
Quelques pas
avec Spinoza (en cours d’édition).
Max KOHN:
Le problème Spinoza
La distinction des affects permet la différence de leurs essences.
Essayons de penser le lien de la psychanalyse à Spinoza pour Freud et
Lacan, la distinction de ce qui les affecte avec Spinoza et la
différence de l'essence de ces affects. Spinoza au XVIIe siècle est la
source occulte des Lumières et il est reconnu comme athée. Au XXIe
siècle, il reste relié à la tradition juive dans un écart qui le
distingue dans ses affects et qui constitue la différence de son
essence. L'ambivalence de Lacan à son égard dans sa théorie en est un
exemple. Lacan n'est pas un Juif excommunié, Spinoza soumis au
signifiant. Ils sont tous les deux pris dans l'histoire et soumis au
signifiant qui vient de notre capacité d'être affecté. Freud vit dans
un climat spinoziste, mais n'a rien à dire de plus. La psychanalyse vit
encore dans un climat spinoziste.
Max Kohn est psychanalyste membre
d'Espace analytique et de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse,
Maître de conférences HDR à l'Université Paris Diderot, Sorbonne Paris
Cité, il est membre du laboratoire CRPMS (Centre de recherche en
Psychanalyse,
Médecine et Société), EA 3522.
Publication
récente
L'événement
psychanalytique dans les entretiens en yiddish, préface de
Robert Samacher, collection "Culture & Langage", Paris, MJW
Fédition, 2015.
Site internet: htpp://www.maxkohn.com
Marie
LENORMAND: Considérations sur le psynozisme
Un affect qui est une passion cesse d'être une passion dès que nous en
formons une idée claire et distincte (Éthique
V, 3). Cette proposition de Spinoza invite à connaître ses
déterminations, non pour s’en affranchir radicalement, mais pour
conquérir une marge de liberté, certes en tous points étrangère au
libre-arbitre, mais permettant au mode fini que nous sommes de
récupérer une part d’activité. Il n’est pas illégitime de faire du
symptôme un autre nom de la passion
et de rapporter la cure à ce "passage à l’action" impliquant, plutôt
qu’à sa suppression, un savoir faire avec le symptôme. À partir de là,
le passage entre spinozisme et psychanalyse semble intuitivement aisé à
envisager. Des psychanalystes tels que Freud et Lacan n’ont d’ailleurs
pas manqué de revendiquer leur héritage envers Spinoza. Dans quelle
mesure pourtant, un écart ne doit-il pas être maintenu?
Cette continuité séduisante ne doit-elle pas être mise en question afin
d’éviter l’écueil d’un syncrétique "psynozisme"?
Maître de conférences en psychologie,
docteur en psychologie et psychologue clinicienne, Marie Lenormand
enseigne aujourd’hui la théorie psychanalytique à Aix Marseille
Université. Avant d’obtenir l’agrégation de philosophie en 1999, son
cursus en philosophie l’avait conduite, dès sa maîtrise, à s’intéresser
à Spinoza. L’articulation entre philosophie et psychanalyse figure au
cœur de ses préoccupations.
Federico
LEONI: Causa
sui.
Qu'est-ce qu'une cause, s'il y a de l'Un?
Qu’est-ce qu’une cause, s’il y a de l’Un? La formule du dernier Lacan
est bien connue: "y a d’l’Un" devient une ritournelle après le
séminaire Ou pire. S’il y a de l’Un, de l’Un tout seul, de l’Un sans
autre ou sans l’Autre, alors un cause ne va pas, ne peut pas aller,
d’un autre à l’autre, d’une chose à autre chose, d’une chose qui serait
cause à autre chose qui serait effet. Une cause n’est plus supposé
traverser l’espace d’une altérité, n’est plus supposée traverser un
espace tout court, mais plutôt insister, insister dans un devenir
immobile, insister dans le point intensif d’une autoaltération. Ce qui
revient à dire que l’effet serait immanent à la cause, et la cause à
l’effet, que la cause ne serait plus quelque chose d’autre ou qui vient
de l’autre, image-cause selon le premier Lacan, langage-cause selon le
deuxième Lacan. Cette causalité immanente, cette temporalité immanente
qui nous reste à penser s’il y a de l’Un, c’est une causalité ou une
temporalité spinoziste, c’est la causalité ou la temporalité de Dieu,
de la substance, de la nature. Mais cette formule lacanienne de l’Un
tout seul, de l’Un sans l’autre, définit aussi un certain événement,
une certaine position qui marque la fin d’une analyse, au moins selon
l’une des pensées que Lacan nous a livré autour de cet étrange
événement qu’est la fin d’une analyse. Donc quel rapport y aurait-t-il
entre la fin d’une analyse, le fonctionnement de la cause psychique, et
le devenir-Dieu qui marque la position éthique suggérée par l’Éthique de Spinoza? Quel rapport
entre fin d’une analyse et "causa sui"? Quel rapport entre fin
d’analyse et substance jouissante, c’est-à-dire autoimmanente?
Silvia LIPPI:
L'inconscient adéquat, ou l'autre vérité des affects
La philosophie de Spinoza et la psychanalyse s’accordent sur
l’impossibilité de maîtriser les affects. Et l’un comme l’autre se
déprennent du leurre de la connaissance de soi en termes rationnels et
psychologiques. Pour Spinoza, l’affect (affectus) suppose une idée confuse,
en tant que trace d’un corps extérieur qui affecte le corps de
l’individu (affectio). Chez
Freud et Lacan, l’affect, en tant que manifestation déplacée du
signifiant refoulé (Vorstellungsräpresentanz),
est trompeur. Mais Freud changera sa position: finalement, c’est
l’affect d’angoisse qui précède le refoulement et non l’inverse. Et
pour le dernier Lacan, l’affect devient signe d’une jouissance: il y a de
la jouissance dans tout affect, et cela ne laisse pas de doutes, alors
que les significations qui prétendent expliquer l’affect brouillent
souvent les cartes. C’est la représentation liée à l’affect qui est
inadéquate, et non l’éprouvé de l’affect en tant que tel. Un état de
joie n’est pas toujours provoqué par une expérience agréable mais il
peut être l’effet d’un deuil, comme dans la psychose maniaco-dépressive
par exemple. Lorsque Spinoza parle des "idées adéquates", il ne se
réfère ni à une
sagesse, ni à une décision de la raison, ni à une connaissance qui
dérive de la conscience psychologique: il ne suffit pas d’avoir une
idée claire et distincte de ses propres passions pour s’en détacher, ou
pour les transformer en action. L’éthique du désir, qui fonde les deux
pratiques, ne vise pas à à une unité entre la vie affective et la vie
rationnelle, à la recherche d’un accord avec soi: car le soi, en tant
qu’objet, n’est que représentation. L’éthique du désir ouvre à une
autre décision,
décision qui "va de pair" avec les déterminations
du corps: des corps
(affectés), de leur rapports, multiples, complexes. Cette décision est
une activité qui a sa racine
dans l’inconscient, inconscient qui ne correspond plus à l’inconscience
de la pensée (le refoulé) associée à l’inconnu du corps (l’affect
trompeur). Comment repenser l’inconscient à partir de la philosophie
des affects
de Spinoza? Et comment une lecture de l’inconscient comme décision
s’articule-t-elle à la notion d’"idée adéquate" chez Spinoza? L’éthique
du désir se lie nécessairement
à une éthique de l’inconscient pensé à partir de l’affect: c’est
l’hypothèse que nous essayerons de démontrer.
De formation philosophique, Silvia Lippi
est psychanalyste et docteur en psychologie. Elle est analyste
praticienne à Espace analytique et chercheur associé à l'Université de
Paris 7. Elle enseigne actuellement la psychanalyse à l’Université de
Picardie Jules Verne.
Publications
Transgressions.
Bataille, Lacan, Eres, 2008.
La décision
du désir, Eres, 2013 (Prix Oedipe le Salon 2014).
Keren MOCK:
L'affect au regard de la langue
Pour illustrer les règles de la langue dans son Abrégé de grammaire hébraïque,
Baruch Spinoza utilise comme exemples des notions philosophiques qu’il
a développées sur l’affect et sur les degrés de la puissance, de la
joie
(plus grande puissance) à la tristesse (moindre puissance). Il les
hiérarchise et distingue leur nature selon leur "déclinaison" dans
l’hébreu, langue sacrée qu’il nominalise et qu’il étudie, pour la
première fois, comme un objet profane. Dans la théorisation freudienne,
l’affect, rattaché à une
représentation, est lié à une charge pulsionnelle et est analysé
comme un objet psychique. Cette intervention portera sur la relation
entre affect et langage dans le déplacement de l’objet langue de la
métaphysique à la métapsychologie.
Keren Mock est ATER à l’UFR Études
psychanalytiques de l’Université Paris Diderot. Elle a reçu en 2016 une
bourse postdoctorale du Centre France-Stanford pour les études
interdisciplinaires pour poursuivre ses recherches sur les sources
hébraïques de l’Abrégé de grammaire hébraïque de Spinoza.
Publication
Hébreu, du
sacré au maternel, CNRS Éditions, 2016 (Préfaces de Julia
Kristeva et Pierre-Marc de Biasi).
Vittorio
MORFINO & Stefano PIPPA: Althusser entre Spinoza et Lacan
Dans Idéologie et appareil
idéologique d’Etat, Althusser, en proposant sa propre théorie de
l’idéologie, déclare explicitement sa double dette envers Spinoza et
Freud. Or, comment entendre cette duplicité? Comment l’articuler? On
pourra tenter une réponse en analysant un texte que peut
être considéré comme préparatoire à Idéologie
et appareil idéologique d’Etat, les Trois notes pour une théorie des discours.
C’est justement dans ce texte qu’Althusser s’efforce de rendre compte
de l’articulation entre idéologie et inconscient. Or, il s’agit de
montrer comment dans ce cadre le recours souterrain à Spinoza, un
Spinoza
en réalité tout à fait nouveau et, on pourrait dire, découvert/inventé
par Althusser, lui permet de changer son rapport à la lecture de Freud
proposé par Lacan.
Vittorio Morfino est chercheur en
Histoire de la philosophie chez l’Université de Milano-Bicocca et
visiting professor à l'USP de São Paulo, la Sorbonne, l’Université
Bordeaux-Montagne et l’Universidad Nacional de Córdoba. Il
dirige la collection "Althusseriana" et la collection "Spinoziana" chez
les éditions Mimesis, est rédacteur de "Quaderni materialisti" et de
"Décalages".
Publications
Spinoza e il
non contemporaneo (2009).
Le temps de
la multitude (2010).
Le temps et
l’occasion (2012).
Plural
temporality (2014).
Genealogia di
un pregiudizio. L’immagine di Spinoza in Germania da Leibniz a Marx
(2016).
Stefano Pippa a obtenu son doctorat en
Philosophie au Centre de Recherche en Philosophie Européenne Moderne
(CRMEP), Kingston University, Londres, en 2016, avec un thèse sur
"Althusser et la contingence". En 2016, il a été Visiting Lecturer à
l'Université de Wolverhampton (UK). Il à récemment traduit en italien
(avec Livio Boni) L. Althusser, Psychanalise
et sciences humaines (L. Althusser, Psicoanalisi e scienze umane,
Milano: Mimesis, 2015) et publié "Althusser tra Lacan e Spinoza" (2015)
et "Althusser senza Lacan" (2015). Il collabore depuis 2016 avec
"Quaderni Materialisti" (Milan, Italie).
Claude
RABANT: Nisi durante Corpore
Le corps et l'existence. "... L’idée qui constitue l’essence de
l’Esprit enveloppe l’existence du Corps aussi longtemps que le Corps lui-même existe.
Il suit que l’existence présente de notre Esprit dépend seulement de ce
que l’Esprit enveloppe l’existence actuelle du Corps". Pourtant,
"l’Esprit humain ne peut pas être absolument détruit en même temps que
le Corps; mais il en reste quelque chose qui est éternel". Quelle leçon
à en tirer pour la psychanalyse, quant à la question du temps, et
notamment pour ce que Freud nomme "désir indestructible"?
Jean-Jacques
RASSIAL: Actualité de la
querelle du spinozisme
À la fin du XVIIIe siècle, en Allemagne, le monde philosophique est
agité par une querelle provoqué par Jacobi qui rapporte un entretien
avec Lessing, mort depuis 3 ans, qui aurait "avoué" son spinozisme,
dont Jacobi souligne qu’il ne peut conduire qu’à l’athéisme. En fait il
s’agit d’une attaque contre les Lumières, qui provoquera la réplique de
Mendelsohn, de Kant et de Goethe, entre autres. La lecture actuelle de
Spinoza se heurte de nouveau à la question du
statut de Dieu pour Spinoza, à la fois nom de la substance en soi, dans
le sive natura de l’Éthique,
accessible par la connaissance du troisième genre, et rabattu par la
religion dont le fondement est superstitieux et le moteur politique,
dans le Traité des autorités
théologiques et politiques. Pour les psychanalystes, qui
ajouteraient au sive, un sive lingua, qui
donne une autre dimension à la substance, Dieu serait de nom de
l’Autre, immanent à la langue, qui n’existe pas. Manière de ne pas
confondre l’athéisme supposé de Freud, qui se
satisfait de se dire "juif infidèle", et un athéisme positiviste, dont
la clinique nous montre aisément le caractère paranoïaque. Le Dieu de
Spinoza est cet Autre paradoxal qui à la fois est cause de
tout et marqué tout autant par la non-existence que par l’existence
"éminente", comme le souligne Deleuze. La définition de Dieu dans l’Éthique n’induit aucune
certitude. Avec Lacan, on pourra y lire le vecteur supérieur du graphe
du désir,
qui va de l’affirmation de l’Autre, comme cause du langage, à la barre
portée sur cet Autre, S(A), comme cause du sujet.
Rocco RONCHI: Causa sui.
Causalité métaphysique et causalité psychique
La causalité psychique n’est pas une causalité unidirectionnelle. Les
faits psychiques ne se disposent pas sur la ligne du temps conçu comme
une succession (thèse de l’intemporalité de l’inconscient). Pour
comprendre la causalité psychique et l’intemporalité de l’inconscient,
il faut alors réactiver un autre modèle de causalité. Par la notion de Nachträglichkeit, Freud a essayé
d’élaborer une notion de temporalité qui soit adéquate à la causalité
psychique. Pour éclaircir la nature de cette causalité psychique, il
est
indispensable de se référer à l’interprétation que les philosophes du
processus, notamment Bergson et Whitehead, ont donné de la notion de causa sui. Dans les deux cas, une
comparaison avec Spinoza s’avère décisive.
Rocco Ronchi est professeur de
Philosophie Théorétique à l’Université de l’Aquila. Il est chargé de
cours et de séminaires dans différentes universités italiennes et
étrangères. Professeur de philosophie auprès de l’IRPA (Institut
de Recherche en Psychanalyse Appliquée) de Milan, il dirige la
collection "Filosofia al presente" (Textus, L’Aquila).
Dernières
publications
Come
fare. Per una resistenza filosofica (Feltrinelli, Milano 2013).
Gilles
Deleuze. Credere al reale
(Feltrinelli, Milano, 2015).
Gianluca
SOLLA: Errance et désir
La nature aléatoire des affects est souvent associée chez Spinoza à
l’activité de l’imagination. C’est le fait d’imaginer qui produit des
effets ambigus, par exemple là où la tristesse et la joie, l’amour et
la haine, se superposent et semblent difficiles, voire impossibles, à
séparer. Dans le même temps, l’imagination ne fait rien d’autre que de
révéler
l’ambiguïté constitutive de la vie affective. Ce phénomène peut être
défini avec la scholie à la Proposition XVII du troisième livre de l’Éthique, flottement de l’âme. Bien
sûr, l’oscillation finit par constituer l’inclination des hommes, mais
il s’agit d’une inclination qui répond à tout et qui est encline à tout
croire (Préface au Traité
théologico-politique). Ce fait entre en contradiction avec la
pulsion comme persévérance de chaque chose dans son être. Et il est
dans le corps que cette hésitation trouve son endroit à elle pour
s’exprimer: l’hésitation l’affecte, mais c’est à travers elle que
chacun se connaît (Livre III, Proposition LIII, Démonstration). Une
réflexion sur la relation qui s’établit entre la puissance d’exister et la
connaissance de soi ne peut donc poser la question sur l’existence que
comme question des façons (des formes, des modes ou des modalités) où
vivre et penser apparaissent singulièrement liés.
Gianluca
Solla est professeur de
Philosophie Théorétique à l’Université de Verona. Avec Federico Leoni
et Riccardo Panattoni, il dirige chez l'éditeur Orthotes la collection
"phy/psy", dédiée au dialogue entre philosophie et psychanalyse.
Dernières
publications
Memoria dei
senzanome. Breve storia dell’infimo e dell’infame, Verona, 2013.
Buster
Keaton. L’invenzione del gesto, Napoli, 2016.
"J'admets tout à fait ma dépendance à
l'égard de la doctrine de Spinoza" (Sigmund Freud, 28 juin 1931),
table ronde avec Franck
CHAUMON, Patrick MÉROT
et Alexandra de
SÉGUIN
Il n’y aurait aucun intérêt à vouloir rabattre l’un sur l’autre Freud
et Spinoza, ou a chercher à traduire les concepts de l’un dans les
formulations de l’autre. Par contre, la lecture raisonnée et
systématique des grands textes de Spinoza permet de mettre en
évidence ce qu’on peut désigner comme une remarquable compatibilité
entre les énoncés freudiens et les conceptions de Spinoza: déterminisme
radical, méconnaissance du sujet par rapport à ce qui l’anime, relation
corps esprit, conatus, rapport à la connaissance, place de la religion
etc., sans pour autant faire l’impasse sur les écarts irréductibles,
comme la pulsion de mort. C’est une telle entreprise que nous
poursuivons depuis trois ans dans
un groupe de quatre lecteurs, psychanalystes et psychiatres
d’obédiences diverses. On peut faire ainsi connaître une véritable
jubilation à découvrir ces
résonnances entre l’auteur de L’Éthique
et l’inventeur de la psychanalyse, tout en faisant l’expérience d’un
décentrement, premier effet de la lecture du philosophe par des
psychanalystes, avant même que se formulent clairement les questions
qui en surgissent. Articulation du collectif et du singulier
(dans une approche de la
question du sujet qui rompt avec la position de Descartes), tentative
pour rendre compte de la tension entre nécessité et
liberté, pensée du corps et de ses affects, tels sont les points
sur lesquels nous nous sommes particulièrement arrêtés. Ces journées
"Les psychanalystes lisent Spinoza", énoncé qui pourrait très
exactement
qualifier notre démarche, seront l’occasion de témoigner de ces
découvertes. Notre intervention prendra donc pour titre ce qui désigne
la toile de
fond de ces témoignages, une citation de Freud du 28 juin 1931,
citation à laquelle il ajoutait — ce qui ouvre le débat — "en outre, je ne cherche pas de
légitimation philosophique".
Franck Chaumon est psychanalyste.
Publications
Lacan: La
loi, le sujet et la jouissance, Éditions Michalon, 2004.
Manifeste
pour la psychanalyse, co-édité avec Sophie Aouillé, Pierre
Bruno, Michel Plon & Erik Porge, La fabrique éditions, 2010.
A dirigé cinq ouvrages collectifs, dont le dernier s'intitule: Espaces de paroles, Eres, 2015.
Patrick Mérot est psychanalyste, Membre de l'Association
psychanalytique de France (président de 2012 à 2015), Membre du comité
d'organisation du colloque de Cerisy intitulé "La séduction à
l'origine; L'œuvre de Jean Laplanche" en 2014.
Publications
"Dieu la
mère", trace du maternel dans le religieux, Paris, PUF, "Le fil
rouge", 2014.
Ainsi qu'une trentaine d'articles parus dans diverses revues de
psychanalyse.
Alexandra de Séguin est psychiatre, praticien temps plein sur un
secteur à l'EPS Barthelemy Durand à Étampes et Psychiatre à temps
partiel dans un SESSAD à Sainte-Geneviève-des-Bois. Membre du bureau de
l'association Utopsy depuis 2007. Membre du collectif des 39 - Contre
la nuit sécuritaire - depuis sa création en 2008. Co-responsable pour
la troisième année universitaire d'un séminaire optionnel validant pour
les internes en psychiatrie à Paris. Auteur de plusieurs articles dans
des revues de psychiatrie et analytiques. Membre du comité de rédaction
de la revue "Les Nouveaux Cahiers pour la folie" éditée chez Epel
(depuis le numéro 6).
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BIBLIOGRAPHIE :
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Paris, Folio essais, 1968.
GOLDSCHMIT Marc, Traité
Théologico-Politique de Spinoza, L’homme Moïse et la religion
monothéiste de Freud, Séminaires X, XX et XXIII de Lacan.
LACAN Jacques, Autres écrits,
Paris, Seuil, 2001.
LACAN Jacques, Écrits, Paris,
Seuil, 1966.
LACAN Jacques, Le séminaire, Livre
VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986.
SPINOZA Baruch, Correspondance,
Paris, Flammarion, coll. "GF", 2010.
SPINOZA Baruch, Éthique
(traduction A. Guérinot), Paris, Ivrea, 1993.
SPINOZA Baruch, Traité de la reforme
et de l’entendement, Paris, Gallimard, coll. "Folio", 1954.
SPINOZA Baruch, Traité
théologico-politique, Paris, Flammarion, coll. "GF", 1997.
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Avec le soutien
d'Aix-Marseille Université
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