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DU VENDREDI 28 JUIN (19 H) AU VENDREDI 5
JUILLET (14 H) 2013
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DIRECTION :
Didier DEBAISE, Isabelle
STENGERS
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ARGUMENT :
Au cours de la dernière décennie s’est produit en France un renouveau
d’intérêt pour des penseurs qui se sont vus accoler l’épithète de
"spéculatifs", tels que William James, Gabriel Tarde, Alfred North
Whitehead et Étienne Souriau. Ce renouveau nous semble indissociable de
la mise en crise généralisée des modes de pensée qui, d’une manière ou
d’une autre, devaient leur autorité à une référence au progrès, à la
rationalité, à l’universalité. Mise en crise redoutable car on ne se
défait pas sans danger de ce qui a servi de boussole à la pensée
euro-américaine depuis qu’il est question de modernité. Mise en crise
nécessaire car ces modes de pensée sont sourds à la nouveauté effective
de cette époque marquée par la menace du désordre climatique, le
saccage systématique de la terre, la difficulté d’entendre les voix qui
nous engagent à penser devant le lien fort entre la modernité et les
ravages de la colonisation.
Si nous insistons pour parler de gestes spéculatifs, c'est que la
pensée spéculative est trop souvent définie comme purement théorique,
abusivement abstraite, ou relevant tout simplement d’un imaginaire
déconnecté de toute prise sur le réel. Elle est, telle que nous
voudrions en hériter, affaire de gestes, d’engagements par et pour un
possible, de virtualités situées. Le sens de tels engagements tient à
leurs conséquences, à la modification de l’appréhension du présent
qu’ils entrainent.
La rencontre se déclinera en conférences qui exploreront certains des
concepts philosophiques dont nous pensons qu’ils appellent et rendent
possibles de tels gestes spéculatifs, mais aussi en ateliers qui
exploreront des situations dont nous savons qu’il faut apprendre à les
penser autrement. Ces ateliers mobiliseront notamment les chercheurs et
chercheuses du Groupe d’Études constructivistes de l’Université Libre
de Bruxelles.
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CALENDRIER
DÉFINITIF :
Vendredi 28
juin
Après-midi:
ACCUEIL DES
PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Samedi 29 juin
Matin:
Isabelle
STENGERS: Ferveur et lucidité - les obligations de
l'instauration [enregistrement audio en ligne sur la Forge
Numérique de la MRSH
de l'Université de Caen Normandie]
Vinciane
DESPRET: Bien parler des morts
Après-midi:
Présentation
des quatre ateliers
Faire émerger des publics, avec
Xavier DOUROUX,
Nicolas PRIGNOT
et Graziella VELLA
Savoirs et fabulations, avec Lucienne STRIVAY, Fabrizio TERRANOVA et Benedikte ZITOUNI
"S'adresser": écologie des êtres,
avec Thierry DRUMM, Émilie HACHE et David JAMAR
Ceux que l'on cherche à aider,
avec Émilie HERMANT, Claude de JONCKHEERE, Maryam KOLLY-FOROUSH et Katrin SOLHDJU
Soirée:
Les nouveaux commanditaires (présentation en films)
Dimanche 30
juin
Matin:
Didier DEBAISE:
L'appât des mondes possibles
Eduardo
VIVEIROS DE CASTRO: La propriété du concept
Après-midi:
Tenue
des quatre ateliers en parallèle
Suivi
de rendus réciproques inter-ateliers
Soirée:
Projection de Vital Phantasy,
par Didier DEMORCY
Lundi 1er
juillet
Matin:
Camille
RIQUIER: Péguy: le monde moderne peut-il être sauvé?
Bruno LATOUR:
Quelle guerre doit avoir épuisé quels combattants pour que la
diplomatie soit prise au sérieux?
Après-midi:
Tenue
des quatre ateliers en parallèle
Suivi
de rendus réciproques inter-ateliers
Soirée:
Cinématique des seuils. La cosmologie à l'épreuve de la danse, avec Fleur COURTOIS-L'HEUREUX
Mardi 2 juillet
Matin:
Marcelle
STROOBANTS: Transduction: l'apprentissage comme métamorphose
Tobie NATHAN:
Changer, mourir, guérir
Après-midi:
DÉTENTE
Mercredi 3
juillet
Matin:
Serge GUTWIRTH:
Les choses du droit
Donna HARAWAY:
Cosmopolitical Critters, SF, and Multispecies Muddles
Après-midi:
Tenue
des quatre ateliers en parallèle
Suivi
de rendus réciproques inter-ateliers
Soirée:
Projection du film Jose Andrei: An
Insane Portrait, par Fabrizio
TERRANOVA
Jeudi 4 juillet
Matin:
Pierre
MONTEBELLO: Le geste spiritualiste
Erik BORDELEAU:
Rêver l'obscur: présence spéculative et politiques de la contraction
Après-midi:
Tenue
des quatre ateliers en parallèle
Suivi
de rendus réciproques inter-ateliers
Vendredi 5
juillet
Matin:
Discussion générale
Qu'avons-nous appris lors des ateliers?
Après-midi:
DÉPARTS
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ATELIERS :
Faire émerger des
publics
L’inexistence d’un Public "en général" omni-compétent, sommé d’avoir un
avis sur tout, ne dit rien de l'existence de publics au pluriel,
intéressés par des questions concrètes et transformés par celles-ci. Ce
n'est pas qu'il n'y a pas de publics, mais que les publics sont à
chaque fois à refaire, à réinventer. Si "crise du Public" il y a, c'est
au sens de Dewey, celle de l'émergence spontanée des publics. Nous
spéculerons sur l'existence de dispositifs d'émergence de publics
capables d’intervenir, de proposer, d’objecter, de faire exister un
problème. Le protocole des "Nouveaux commanditaires" en est un. Il
permet à un groupe de formuler une demande d'œuvre d'art, et à un
médiateur de le mettre en rapport avec un artiste. En créant les
conditions d’existence de la commande, il suscite l'émergence d'un
public et transforme les termes qu'il met en rapport, des citoyens
commanditaires aux artistes qui y répondent. Ce dispositif appelle à la
reprise et à la prolifération. Nous interrogerons en particulier la
figure du médiateur dont le caractère crucial est de créer de nouveaux
rapports et d’éviter une posture pédagogique (vulgarisation des
sciences) ou d’intermédiaire (politique). Nous explorerons les
possibilités de déployer ce travail de médiation et de redéfinition des
rôles qu'il suppose dans d'autres milieux, comme ceux des sciences ou
des pratiques urbaines et architecturales. Nous avons besoin de
nouveaux dispositifs d'émergence, de nouveaux médiateurs. Nos
pratiques, qu'elles soient de savoir, d'art ou de lutte, sont à
réinventer si nous voulons mériter de tels publics.
Savoirs et fabulations
"Nous avons besoin de nouveaux types de récit", a écrit Haraway. Des
récits qui réclament la terre et les communs que le capitalisme nous a
dérobés. Des récits qui nous invitent à reprendre et à créer des
sensibilités trans-espèces, des vitalités trans-matières et des
agitations trans-cérébrales. Il ne suffira pas de les imaginer, ces
récits, il faudra les fabriquer. Et même la fabrication ne suffira pas,
il faudra apprendre à fabuler c’est-à-dire à se risquer dans des
narrations et des cosmologies qui puissent accueillir ces sensibilités,
vitalités et agitations transversales. Car fabuler est bien un nouveau
genre de construction, en tout cas pour celles et ceux qui créent des
savoirs. Selon nous (nous peuplés de pratiques sociologique,
anthropologique et artistique), les fabulations sont ces récits qui
creusent des interstices dans notre monde, le travestissent et le
manipulent dans un envol plus-qu’imaginaire (entendez: cosmologiques,
métaphysiques) jusqu’à ce qu’il puisse susciter des nouveaux
attachements et obliger à ce qu’on rouvre l’enquête, à ce qu’on explore
à nouveau ce territoire délaissé qui ne semblait pas mériter notre
attention. C’est un acte de repeuplement qui ne se laissera plus piéger
par la question du Vrai et du Faux. Faire bégayer le réel, élargir le
spectre, faire émerger de nouveaux mondes reliés qui nous déconcertent,
les déployer en suscitant l'appétit du possible, afin de déplacer la
prétention écrasante du monde trop bien décrit, trouver des ruses,
jouer, en retournant inlassablement à nos pratiques, en affirmant la
nécessité de nouvelles manières de raconter et d’expérimenter ces
mondes, voilà ce que nous devons apprendre à faire.
"S'adresser": écologie
des êtres
Animaux, dieux, esprits, idées, personnages, usages, machines,
techniques... autant d’êtres qui se mêlent aux situations dans
lesquelles nous sommes engagés, d’êtres auxquels il s’agit d’apprendre
à s’adresser. La tentation de nier la particularité de chaque "entrée
en rapport", d’assimiler ces êtres en les assimilant à des croyances ou
en les naturalisant, peut se dire coloniale: elle a réduit toute
singularité à du déjà-su, du déjà-connu, du déjà-entendu, ordonnant
hiérarchiquement les peuples depuis ce centre selon leurs "manques de"
("raison", "bonne foi"). Nous posons que ces réductions appauvrissent,
désarticulent, affaiblissent les mondes et les situations et sont
parties prenantes des ravages que l’on peut associer au capitalisme.
Les modes d’adresse et de présentation sont donc à construire et cette
construction ne peut se réduire ni à un choix charitable ni à une
tolérance abstraite envers des êtres considérés comme quelconques,
prêts aux concessions d'un vivre ensemble a priori. C’est sous le signe
de l’urgence et du risque pragmatique que nous avons à penser ces
situations où la bonne volonté n’est d’aucun secours. Il s’agit
d’engager un apprentissage visant à cultiver les capacités à vivre dans
un monde, ou plutôt dans des mondes plus compliqués. Nous avons besoin
d’une multiplication des façons de "poser problèmes" — les modes
univoques d’adresse ayant échoué — si nous voulons nous donner une
chance de nous mettre à la hauteur des enjeux écologiques, politiques
et sociaux contemporains.
Ceux que l'on cherche à
aider
Une exigence est à l’origine de cet atelier: témoigner des manières des
groupes œuvrent à la (re)définition de leur "propre situation"
(d’usagers de drogues, de "patients", de "jeunes en décrochage
scolaire", etc.)? Comment, en particulier, ceux que l’on définit comme
"en besoin d’aide" évitent-ils de se laisser définir par des instances
extérieures (comme groupes statistiques, publics-cibles, etc.)? Comment
parviennent-ils à prendre en charge leur façon d’exister? Quelles
stratégies de ruse, techniques, inventions d’objets, narrations, voire
fabulations, ces collectifs cultivent-ils contre des pratiques déjà
bétonnées qui tentent de les capturer, de les "faire coller" à leurs
théories? Comment, en d’autres termes, réussissent-ils à répondre à la
vérité toute faite qui entend les définir par des productions de
vérité, rejoignant dès lors la proposition pragmatiste de William James
selon laquelle une "vérité arrive à une idée", à savoir qu’un possible
encore inconnu — y inclus croyance commune et espoir partagé — devient vrai dans le processus de
sa mise en œuvre. À partir de cette exigence, nous entendons explorer
la question corrélative d’une "re-politisation" de la relation d’aide,
partant du constat que "ceux que l’on cherche à aider" sont confrontés
aujourd’hui à des propositions de prime abord structurées par la
violence et l’asymétrie inhérentes aux institutions d’aide et à leur
mode de diagnostic — que celui-ci se présente comme purement médical,
s’énonce en termes "psy" ou ratifie une situation de faiblesse sociale
(avec des termes tels que "populations défavorisées", "jeunes
stigmatisés", usagers "vulnérables et en souffrance", etc.). Dans tous
ces cas, la re-politisation implique une reconfiguration productrice de
symétrie, agencée "autour" d’une question qui concerne et implique tous
les intéressés ("aidés" et "aidants"). À partir d’exemples touchant la
médecine (avec l’expérimentation "DingDingDong.
Institut de co-production de savoirs sur la maladie de Huntington"),
la psychothérapie (avec les réagencements actifs proposés par
l’ethnopsychiatrie) et le travail social (travail avec les jeunes des
"quartiers"), l’atelier posera la question des techniques concrètes de
co-construction de nouveaux problèmes/solutions susceptibles de faire
émerger une puissance d’agir qui engage.
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Avec le soutien du Projet EME
et du "Prix scientifique Ernest-John Solvay" du Fonds de la Recherche
Scientifique
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