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DU MERCREDI 23 JUIN (19 H) AU MERCREDI 30 JUIN
(14 H) 2010
CŒURS ROMANTIQUES, CORPS DÉSIRANTS
DIRECTION : Christian CHELEBOURG
ARGUMENT :
L’amour romantique est tiraillé par une double
aspiration à la pureté et au plaisir. La
première trouve son origine dans la condamnation
du libertinage de la Régence, accusé
d’avoir conduit à sa perte la société d’Ancien
Régime. Elle entraîne une magnification
de la chasteté, dessinant une nouvelle carte
du Tendre et nourrissant un imaginaire angélique,
une représentation éthérée de
l’union des "âmes sœurs" à laquelle on a trop souvent
tendance à réduire le romantisme sentimental.
La seconde vient naturellement équilibrer ce tropisme
et pousser à la revendication du plaisir charnel. Celle-ci
peut évidemment participer de la débauche
et s’inscrire dans la vaste topique de l’orgie romantique.
Quelques œuvres érotiques, largement ignorées
par la critique, témoignent de l’ardeur des désirs
qui travaillent la génération de 1830: on songe
à Gamiani ou deux nuits d’excès, attribué
pour partie à Musset, ou encore à la Lettre à
la Présidente et aux poésies libertines de Gautier.
Mais surtout, le plaidoyer pour le plaisir — notamment le plaisir
féminin — nourrit la condamnation du mariage bourgeois
et façonne un nouvel art d’aimer, qui ne confond plus chasteté
et abstinence, condamne la galanterie gratuite et vante les délices
d’un bonheur partagé des cœurs et des corps.
L’articulation des aspirations du cœur aux appels du
corps sera étudiée à travers sa
problématisation par la génération
des Romantiques de 1830 aussi bien que dans sa postérité,
à travers la topique de l’amour dit romantique.
CALENDRIER DÉFINITIF :
Mercredi 23 juin
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des
participants
Jeudi 24 juin
Matin:
Christian CHELEBOURG:
Dialectique de la science et des sens - Fatalité faustienne du désir
romantique
Michel BRIX: Usages romantiques
de Rousseau
Après-midi:
Hervé GUINERET: Jean-Jacques
Rousseau: entre désir et refus du corps
Christophe MEURÉE:
Désir désastre: l’écartèlement lamartinien
entre passé et avenir
Vendredi 25 juin
Matin:
Antoine FAIVRE:
De l’amour selon trois philosophes romantiques allemands
(G. H. von Schubert, F. von Baader, J. F. von Meyer):
au carrefour de la théosophie chrétienne
et du magnétisme animal (première
moitié du XIXe siècle)
Lucie LAGARDÈRE:
La plante singulière que je ne veux nommer et La grenade
au feu clair: Lucinde de F. Schlegel, un roman philosophico-érotique
Après-midi:
Isabelle CASTA:
"Amor per me non ha...": la postérité du
dualisme romantique dans les livrets d’opéra
(Verdi, Puccini, Bizet, Gounod)
Francis MARCOIN: Graziella,
corps équivoques, cœurs incertains
Samedi 26 juin
Matin:
David MARTENS:
Eros romantique, imaginaire nobiliaire et thanatographie dans Spirite
de Théophile Gautier
Marie RASONGLÈS:
Quête idéale et désir romantique
chez Théophile Gautier
Après-midi:
Philippe ANTOINE:
Fugitives rencontres: les microscopiques "romans d’amour"
du récit de voyage
Sébastien BAUDOIN:
Paysages du désir dans les fictions de Chateaubriand:
de la poétique des passions à la
sublimation des corps
Vincent TAVAN: "Dans la
vallée de Gomorrhe, la rosée tombe la
nuit sur la mer Morte" - Imaginaire métalittéraire
du désir romantique
Dimanche 27 juin
Matin:
Laure KATSAROS:
Scènes de la vie de bohème: la grisette
et l’artiste
Anne-Marie
CALLET-BIANCO: La maladie d'amour dans la littérature
romantique
Après-midi:
DÉTENTE
Lundi 28 juin
Matin:
Patrick BERTHIER:
La femme et le plaisir chez Balzac: quelques remarques
sur le dicible et l’indicible
Barbara CISE:
L’imaginaire balzacien en conflit: aimer ou écrire,
il faut choisir
Après-midi:
Guillaume PAJON:
Amants, malheureux amants: violence et courtoisie dans Madame
Putiphar de Pétrus Borel
Emilie PEZARD: "Est-ce
vous qui changez l’amour en frénésie?" – Le romantisme
frénétique entre idéalisme et cynisme
Giovanni BERJOLA: Amour romantique et sexualité décadente
Mardi 29 juin
Matin:
Michel BERTRAND: Milady, le
masque et la chair
Stéphane
LE COUËDIC: Joies et tristesses de la chair
Après-midi:
Esther PINON: La fange
et le ciel: corps et religion dans l'œuvre d'Alfred de Musset
Caroline CAPELY:
"Tout est désir, tout est rêverie" - désirer et créer
dans l'œuvre d’Alfred de Musset
Mercredi 30 juin
Matin:
Sophie LÉCOLE-SOLNYCHKINE:
Du paysage à l’érotisme, circulation des modèles
paysagers au XIXe siècle
Christian CHELEBOURG:
Epilogue dans les grands bois: forêts magiques et amour romantique
Après-midi:
DÉPARTS
RÉSUMÉS :
Philippe ANTOINE: Fugitives
rencontres: les microscopiques "romans d’amour" du récit
de voyage
Le voyageur croise au cours de son déplacement
des êtres qui n’accèdent à l’existence
que le temps d’un regard, d’une conversation, d’une
halte... et vit sur un mode accéléré l’histoire
bien connue qui mène de la première rencontre à
la séparation. Il est ce faisant acteur de multiples scénarios
amoureux qui, dans l’écrasante majorité
des cas, demeurent simplement esquissés ou rêvés.
La répétition du motif n’exclut pas, bien au
contraire, la diversité des situations et des figures
du désir. Le voyageur croit reconnaître une image
idéale ou éprouve à l’inverse les déceptions
que ne manque pas de procurer le réel ; il observe et
classe, en ethnologue sentimental, les types humains ; il cartographie
ses émois. La mise en mots de ces expériences finit
par composer une sorte d’anthologie de scénographies et
discours amoureux renvoyant fréquemment à
des recettes romanesques éprouvées, qui se combinent
à des préconstruits culturels et autres stéréotypes.
Servantes malicieuses, mystérieuses orientales, belles
et distantes inconnues, créatures vénales,
innocentes paysannes, libres sauvagesses... constituent le
personnel somme toute attendu de relations dont on ne peut pas
dire qu’elles enrichissent un répertoire provenant pour
l’essentiel de la tradition romanesque (qui s’est, il est vrai, nourrie
de la littérature des voyages). En revanche, il est plus
inhabituel de voir cohabiter dans un même livre — ou
dans une même séquence littéraire, comme celle
que constitue par exemple le Voyage en Orient — une telle
profusion d’intrigues suggérées qui entrent en
conflit les unes avec les autres et finissent par souligner certaines
des ambiguïtés et contradictions de la configuration
du motif amoureux. Et c’est en ce sens que la lecture des récits
de voyage peut aider à comprendre cette "double aspiration à
la pureté et au plaisir" qui serait l’un des traits définitionnels
de "l’amour romantique".
Sébastien
BAUDOIN: Paysages du désir dans les
fictions de Chateaubriand: de la poétique
des passions à la sublimation des corps
Le paysage
"miroir de l’âme" est devenu un cliché des
études romantiques: la victime du "vague des passions"
trouve ainsi dans le paysage, tantôt apaisé,
tantôt orageux, une illustration des méandres
de sa vie intérieure. Le corps absent de l’être
romantique le réduit à la sentimentalité
et aux désirs mis à distance, favorisant la contemplation
narcissique de soi. Mais Chateaubriand, dans ses récits,
pousse plus loin l’interaction entre personnages et paysages
au point que ces derniers en viennent à les incorporer
textuellement dans une indistinction proprement poétique.
Notre propos visera donc à examiner la manière dont
les paysages, dans les fictions de Chateaubriand, cristallisent
les désirs et les réfléchissent en conduisant
à une évacuation poétique des corps, euphémisés
par leur transfiguration spatiale. Permettant tout d’abord
le passage du paysage miroir de l’âme à
l’exploration du désir, les fictions de Chateaubriand
utilisent le paysage comme un moyen de cristalliser les
corps et les cœurs, aboutissant in fine à une
sublimation poétique et romantique du corps via
des procédés de détournement et d’euphémisation.
Références
bibliographiques :
Pierre
Glaudes, Atala, le désir cannibale (Paris,
PUF, 1994).
Fabienne
Bercegol, Chateaubriand : une poétique
de la tentation (Paris, Classiques Garnier, 2009).
Jean-Pierre
Richard, Paysage de Chateaubriand (Paris, Seuil,
1967).
Philippe
Moisan, "Les Natchez" de Chateaubriand : l'Utopie,
l'abîme et le feu (Paris, Honoré Champion,
1999).
Pierre
Barbéris, "René" de Chateaubriand,
un nouveau roman (Paris, Larousse, 1973).
Patrick
BERTHIER: La femme et le plaisir chez Balzac: quelques
remarques sur le dicible et l’indicible
À partir
d’un certain nombre d’exemples connus: Paquita,
la fille aux yeux d’or, ou Esther la courtisane (re)convertie
mais sexuellement nostalgique; et moins connus: Honorine
du roman éponyme, Augustine de Sommervieux de
La Maison du Chat-qui-pelote, et bien d’autres, on
tentera de circonscrire les limites à l’intérieur
desquelles Balzac se considère comme prisonnier
des convenances et des impossibilités de son temps,
et les stratégies qu’il développe pour dire
tout de même, puisqu’il faut dire: le plaisir ou son absence
sont en effet de puissants moteurs du malheur et du bonheur dans
toute La Comédie humaine.
Michel BERTRAND: Milady, le masque et la
chair
Personnage caméléon, Milady possède
l'art suprême de s'adapter aux couleurs susceptibles
de lui conférer la main dans le jeu qu'elle mène
de bout en bout grâce à sa parfaite maîtrise des
cartes. Du noir qui sied à l'espionne ou à la "puritaine"
au rouge qu'elle emprunte à la robe cardinalice de son maître,
elle adapte son masque aux circonstances dans lesquelles elle se trouve
heureusement ou malheureusement placée. Merteuil au siècle
de Louis XIII, elle a déjà intériorisé chacune
des leçons permettant à une femme de surpasser les hommes
sur le terrain qu'ils ont défini comme étant le leur.
Mais le masque ne dissimule qu'imparfaitement une chair susceptible
de troubler deux des mousquetaires les plus aguerris. "Mon cher,
l'ange était un démon", confie, amer, un Athos déconcerté
à un d'Artagnan totalement décontenancé. Afin de
doter d'une noirceur proprement démoniaque cette femme qui ne possède
aucune rivale dans l'ensemble de l'œuvre dumasienne, le narrateur souligne
à de multiples reprises son aspect angélique: "[...] ces
chants bouleversent l'âme ; cependant on finit par s'y accoutumer:
sa voix est si belle!", dit à un Felton bouleversé
l'un des soldats. Ce corps et ce cerveau qu'elle place au service
du mal sont l'unique voie que peut emprunter l'ambition herculéenne
qu'elle s'est assignée: parvenir par elle-même et pour
elle seule au degré le plus élevé de l'échelle
du pouvoir. Pari extrêmement risqué dans une société
où les femmes, telles Constance Bonacieux et Anne d'Autriche, sont
condamnées à n'exercer que des fonctions subalternes et
à ne pouvoir compter que sur l'obligeance des hommes pour conjuguer
chez elles désir et réalité. Pari d'autant plus risqué
que la chair de Milady est sensible et que, de ce fait, elle ne saurait
se satisfaire d'exercer le mal, mais qu'elle aspire à jouir de
ce mal qu'elle inflige à autrui. Si Milady s'avère être
une héroïne romanesque hors du commun, c'est précisément
parce qu'il est quasiment impossible de déterminer où
chez elle s'achève le masque et où la chair exerce légitimement
ses droits. Cette tragique destinée qui, un siècle plus
tard, lui aurait permis d'être une libertine hors pair, l'érige
au moment où Dumas crée son personnage en figure romantique
qui puise sa profondeur au sein même de son ambiguïté.
Rendre compte de cette adéquation entre masque et chair qui fonde
en existence le personnage, telle est l'ambition que j'assigne à
mon étude. Afin d'interroger le mystère qui recouvre cette
opposante si atypique à la quête convenue que mènent
les mousquetaires, j'étudierai successivement les données
qui président à la création du personnage, puis
les associations qui fondent le type au travers de l'individu, enfin
les dissociations qui confèrent son unicité à cette
figure féminine.
Michel BRIX: Usages romantiques de Rousseau
J.-J. Rousseau avait de l'amour une image faconnée
par des romans comme L'Astrée d'Honore d'Urfé.
Or, lorsqu'il arrive à Paris dans les années
1740, l'écrivain suisse constate que la "galanterie"
française est en plein délitement.
C'est précisément pour restaurer l'éthique
amoureuse galante qu'il compose La Nouvelle Héloïse.
Ce roman, dont le succès fut immense, sera
considéré, à l'époque romantique,
comme une référence majeure dans
la réflexion sur l'Eros. Il fera notamment l'objet
de réécritures nombreuses. Mais les écrivains
du XIXe siecle ont-ils vraiment compris La Nouvelle
Héloïse et — de facon plus générale
— les conceptions rousseautistes en matière amoureuse
(telles qu'elles s'expriment aussi dans Emile,
par exemple)? Et qu'est-ce que les éventuels gauchissements
introduits dans la doctrine de Rousseau nous révèlent,
à propos de l'Eros romantique? Celui-ci peut-il
être qualifie de "féministe"? Ce sont ces questions
que je voudrais examiner.
Anne-Marie
CALLET-BIANCO: La maladie d'amour dans la littérature
romantique
Dans la
littérature romantique, amour et maladie vont
couramment de pair, et bon nombre d'héroïnes
succombent à une maladie impitoyable, la phtisie,
souvent associée à l'amour pur et noble
(alors que les maladies vénériennes caractérisent
des relations douteuses). Ce constat est le point
de départ de ma réflexion. Le poids des réalités
sanitaires, qui sera abordé, peut fournir une explication,
mais elle reste insuffisante. D'autres pistes se présentent:
la représentation de l'amour romantique fonctionne
sur l'idéalisation des êtres et la négation
des corps, ce qui rend problématique l'expression
du désir. La maladie serait donc un moyen d'exprimer
physiquement cette contradiction et la souffrance qu'elle
suscite. Par ailleurs, la mort (par quelque maladie que ce soit)
est un moyen de clôturer tragiquement la relation amoureuse
en pleine akmè, et d'éviter le problème
de la durée, du mariage et du prosaïsme, comme
si les romans d'amour gagnaient à s'attacher à l'amour
malheureux. Il s'agirait donc d'un choix esthétique.
Je privilégierai
dans cette étude quelques romans peu connus
de Dumas (Pauline, Amaury, pour lequel
cette question est centrale, et Fernande, dont
le sous-titre est précisément Malade
d'amour), sans exclure quelques incursions sur d'autres
terrains.
Caroline CAPELY: "Tout est
désir, tout est rêverie" - désirer et créer
dans l'œuvre d’Alfred de Musset
Alfred de Musset, poète du cœur, entend être
lu avec le cœur: image édulcorée par laquelle
il justifie la sincérité de son épanchement
lyrique, mais également exaltation du désir
qui conduit le poète à se proposer à sa lectrice
dans "Namouna". Musset joue sur l'ambivalence de sa métaphore:
le cœur est autant le siège de la sensibilité s'opposant
à la raison qu'un organe de désir participant à
la pénétration des corps. Cette intrusion du désir,
dans une écriture sans artifice, dépasse le cadre
de la littérature scabreuse pour s'inscrire dans une quête
philosophique de la Vérité, celle-ci n'étant
que "nudité". Cette assomption du désir de la soif
de volupté à la quête de l'absolu sera le cœur
de notre propos. Nous verrons comment Musset construit son autorité
poétique sur l'image d'un poète humain, trop humain peut-être.
Offrant son cœur et son corps a la poésie, il devient un
instrument de connaissance qui lui permet d'accéder à
des vérités ontologiques: astres et hommes naissent
d'un même désir amoureux. Reproduisant en bas ce
qui se fait en haut, le désir humain s'inscrit alors
dans une trajectoire anastrophique qui permet de rejoindre les sphères
les plus éthérées.
Isabelle CASTA: "Amor per me non ha1...":
la postérité du dualisme romantique dans
les livrets d’opéra (Verdi, Puccini, Bizet,
Gounod)
Pour des raisons de nécessité mnémotechnique,
l’écriture d’un livret d’opéra
va souvent au plus simple, au plus frappant et, partant,
banalise quelquefois le propos en le "kitchisant"
à outrance. Pourtant, quel meilleur témoignage
des représentations d’une époque que
ces intrigues dramatisées, ces dialogues à
l’emporte-pièce? Or, une étude rapide des livrets
d’Opéra de la fin du XIXe et du début du
XXe siècle nous amène à un constat: les
élans du cœur et les appétits du corps y sont
très souvent contrariés, problématiques,
voire carrément conflictuels: Scarpia exige de
Floria Tosca le sacrifice suprême pour sauver l’amant
de "cœur", lequel évoque aussi des moments de passion
charnelle, d’ailleurs. Tout se passe un peu comme si une malédiction
frappait les amours réciproques, et les condamnait
à se perdre dans l’écartèlement de la dualité
romantique: celui qui aura ton corps n’aura pas ton âme...
et, de toute façon, la plupart du temps n’aura rien
du tout! (Scarpia, le comte de la Luna, Philippe II à la
fin de Don Carlo...). On pourra interroger les raisons,
dramaturgiques et sociologiques, d’un tel schéma, et
parvenir à une aporie à partir de laquelle nous rebondirons:
"l’amour n’est pas aimé".
1 Verdi, Don Carlo, méditation
de Philippe II sur son épouse Elizabeth
de Valois: « Elle ne m’aime pas »...
Christian CHELEBOURG: Dialectique de la science et des sens -
Fatalité faustienne du désir romantique
Si la critique a souligné l’influence des Souffrances du
jeune Werther sur la conception romantique de l’amour, elle a ignoré
celle du premier Faust. Or, il apparaît que la représentation
faustienne de l’âme, bipartite entre désirs physiques et
soif mystique de connaissances, structure très largement l’imaginaire
amoureux de la génération de 1830. C’est le cas dans les
fictions où la carrière d’un personnage se divise en deux
parties: l’une consacrée à l’étude, l’autre au moins
en partie à la débauche. Les analyses de Volupté
de Sainte-Beuve, Notre-Dame de Paris de Hugo et Lorenzaccio
de Musset illustrent dialectiquement les trois modalités de gestion
subjective d’un conflit inhérent à l’inscription de l’idéalisation
amoureuse dans le paradigme de la quête scientifique et mystique :
le premier soutient que la libido sciendi est la seule voie qui mène
à l’amour véritable, et impose donc à celui-ci la contrainte
de l’abstinence sexuelle ; le deuxième condamne au contraire une chasteté
dans laquelle il voit la négation de l’amour ; le troisième
montre que l’antinomie de ces postures peut se réduire dans leur
convergence au service d’un même objectif.
Christian CHELEBOURG: Epilogue dans les grands bois: forêts
magiques et amour romantique
La représentation romantique de la forêt magique prend
au pied de la lettre les composantes surnaturelles que la littérature
gothique prêtait aux bois pour les rendre effrayants. La forêt
nyctomorphe rend fantastique ce qu’elle entoure et entretient avec le
surnaturel des rapports d’attraction réciproque. Ainsi, dans Smarra,
Nodier transpose-t-il en forêt les sorcières d’Apulée.
La poétique romantique de la forêt magique apparaît globalement
dynamisée par l’expression du désir amoureux. Le topos de
la forêt enchantée, renouvelé du Tasse, exprime la
puissance et les souffrances de la passion et change l’idylle en épopée.
Quand elles ne sont pas peuplées de sorcières, les forêts
magiques invitent l’homme à assumer pleinement ses désirs
physiques et font de ceux-ci un enjeu esthétique. Le Romantisme surnaturalise
la forêt pour asséner à l’homme une leçon de
nature et lui enseigner la majesté de ses désirs.
Barbara CISE: L’imaginaire
balzacien en conflit: aimer ou écrire, il
faut choisir
L'amour est un thème
primordial et récurrent chez Balzac. Si d'un
côté il permet l'ascension angélique de l'homme,
il semble toutefois être un obstacle à l'activité
créatrice des personnages de génies, nombreux
chez Balzac. En effet, pour l'auteur tous les exercices créateurs,
et notamment l'écriture, nécessitent une énergie
vitale souvent consommée par d'autres activités,
passions ou émotions, comme l'amour et plus particulièrement
le désir qu'il implique. Ainsi, une rivalité
qui n'est pas simple à surmonter se met en place entre la
femme aimée/désirée et l'écriture/le
génie. Cette concurrence entre l'accomplissement intellectuel
et l'accomplissement charnel est un problème majeur dans
l'imaginaire balzacien: faut-il préférer aimer
ou laisser libre court à son génie créateur?
Nous verrons que, malgré la place fondamentale réservée
à l'amour chez Balzac, son caractère est ambivalent
et n'est pas sans poser de difficultés au sein même
de la création balzacienne puisque l'énergie fait
alors de la jouissance une sorte d'obstacle à l'écriture.
Antoine FAIVRE: De l’amour selon
trois philosophes romantiques allemands (G. H. von Schubert,
F. von Baader, J. F. von Meyer): au carrefour de la théosophie
chrétienne et du magnétisme animal (première
moitié du XIXe siècle)
La contribution présente, en manière
d’introduction destinée à situer le propos
dans son contexte historique, les principaux éléments
du mythe de l’androgynie adamique selon Jacob Böhme, et l’influence
exercée par ce mythe sur les positions généralement
négatives des théosophes chrétiens des
XVIIe et XVIIIe siècles à l’égard de l’amour
entre homme et femme. Elle consiste ensuite à présenter
et à commenter les idées que se faisaient de l’amour,
du sexe et du mariage trois auteurs allemands à la fois épigones
de la théosophie chrétienne et représentants
de la Naturphilosophie romantique (première
moitié du XIXe siècle): Gotthilf Heinrich von Schubert, Franz
von Baader et Johann Friedrich von Meyer. Tout en adhérant
à la "vérité" du mythe de l’androgynie adamique,
ils considéraient le sexe, le mariage, plus généralement
l’amour, de façon positive et ont élaboré des
"constructions" anthropologiques portant sur ceux-ci, lesquelles
s’inscrivent pour une bonne part dans le contexte de leur intérêt
(expérientiel et théorique) pour le magnétisme
animal – "constructions" à caractère multipolaire,
notamment quadripolaire dans le cas de Meyer, précurseur
des idées de Carl Gustav Jung sur l’animus et l’anima.
Hervé GUINERET: Jean-Jacques
Rousseau: entre désir et refus du corps
Le propos de notre intervention
est double. Dans un premier temps, nous analyserons le rapport
ambigu de Rousseau au désir. Cette ambiguïté,
que l'on trouve aisément dans les Confessions,
se manifeste à son paroxysme dans Rousseau juge Jean-Jacques.
Nous montrerons que Rousseau est un homme de désir, mais
qu'il "refuse" le corps. En effet ce dernier est périssable
alors qu'il doit y avoir de l'éternité dans le désir.
Nous développerons ensuite les conséquences
politiques: mortalité inéluctable, figures "mortelles"
du désir, qu'il s'agisse de celui des individus (volontés
particulières) qui ne sont pas citoyens ou du gouvernement
qui veut s'emparer des prérogatives de la volonté
générale. Le but de cette réflexion est
de souligner qu'il y a, chez notre auteur, une "pensée du malheur"
(Philonenko), contraire à l'idéal du bonheur qui
dirige le siècle. Cette pensée du malheur est, certes,
motrice mais elle scelle également l'impossibilité du
désir, car au fond il rend malheureux, malgré sa
présence. L'idéal de la vertu constittue-t-il une
"compensation suffisante"?
Laure KATSAROS: Scènes
de la vie de bohème: la grisette et l’artiste
On imagine volontiers que
le romantisme n’a produit que des représentations
idéalisées de la femme. Or, il existe tout
un pan de la culture et de la littérature romantiques
qui a mis à la mode des personnages beaucoup plus humbles.
La grisette, ouvrière et femme galante à ses heures,
fait partie de la mythologie de la vie parisienne sous la Monarchie
de Juillet. Elle est systématiquement appariée
à l’étudiant et à l’artiste bohème, deux
catégories qui tendent à se rapprocher à cette
époque. L’intérêt pour ce personnage ne concerne
pas seulement les auteurs de physiologies comme La Physiologie
de la grisette (1839), mais aussi les écrivains parmi les
plus célèbres de l’époque (Murger, Sue, Musset,
Hugo). Nous nous intéresserons aux conditions dans lesquelles
la grisette a été popularisée, et aux conséquences
pour la modernité littéraire de sa place au côté
de l’artiste.
Lucie LAGARDÈRE: La plante singulière que
je ne veux nommer et La grenade au feu clair: Lucinde de F.
Schlegel, un roman philosophico-érotique
J’aimerais examiner la façon dont Friedrich Schlegel, dans
son roman Lucinde (1799), "romantise" la théorie, dans
les deux sens du néologisme, c’est-à-dire choisit la forme
romanesque comme la plus à même de fonder une pratique et
une théorie romantiques. Par ce mouvement, les questions théoriques
propres au premier romantisme allemand passent dans le roman sous la forme
d’une interrogation des rapports amoureux, sexuels et sensuels entre les
personnages de Julius et Lucinde. L’union libre, parfaite et harmonieuse
des cœurs et des corps qui règne entre les deux êtres est
le lieu d’expérimentation en même temps que de formation d’une
théorie du sujet romantique — toujours symboliquement masculin —
et de son rapport à l’objet — toujours féminin —. L’amour romantique
quitte alors ses nuées sentimentales, éthérées
ou pudiques, pour devenir véritablement érotique. Et, étonnamment,
c’est au cœur de cet érotisme charnel que la pensée la plus
conceptuelle du romantisme prend forme et sens. Arriverait-on, avec le
roman de Schlegel, à une synthèse résolutive entre
toutes les contradictions de genres, de formes et de pensées: homme
et femme, sujet et objet, moi et le monde, fragment et totalité,
émoi confus et calme harmonie, prose et poésie, littérature
et philosophie, érotique et éthique? Par une étude
de Lucinde, et des incursions dans les textes théoriques
de l’auteur et de son cercle (réuni autour de l’Athenäum
à Iéna), je souhaite ainsi analyser les formes de ce paradoxe,
ses enjeux et ses significations.
Sophie LÉCOLE-SOLNYCHKINE:
Du paysage à l’érotisme, circulation des
modèles paysagers au XIXe siècle
Thème fort, sinon central, du romantisme,
le paysage, interface sensible entre l’homme et le monde,
témoigne des relations tout à la fois théoriques
et æsthésiques qui se tissent de l’un à
l’autre. S’il est possible de lire au cœur même de la conception
romantique de l’amour une ambivalence qui mêle la transcendance
des sentiments à l’immanence des plaisirs charnels, il serait
intéressant de questionner, en corollaire, la nature des
enjeux paysagers mis au jour par la modélisation romantique
de la notion, plus largement par les profondes métamorphoses
techniques et sociales qui ne manquent de l’affecter au XIXe siècle.
En rencontrant pleinement l’esthétique du sublime, le paysage
s’inscrit dans la rupture avec l’héritage esthétique
des siècles précédents (esthétiques "bucolique"
et "pittoresque") ; il nourrit aussi largement les formulations
romantiques de la transcendance amoureuse. Comment dès lors
comprendre la coexistence, à la même époque, d’un
paysage véhiculant un imaginaire tout à la fois érotique
et populaire? Une étude de la circulation des schèmes
paysagers, des modèles de l’art (peinture et littérature)
aux pratiques populaires, en l’occurrence les représentations
paysagères figurant dans les maisons closes du XIXe siècle,
lieux par excellence de l’ambiguïté de l’amour, pourrait
permettre de croiser les thèmes de l’amour et du paysage, en
renseignant sur les métamorphoses en cours de la sensibilité
du XIXe siècle, ainsi que sur la plasticité des tropes et
topoï paysagers, lesquels se laissent dès
lors saisir selon les contours d’une analogie reliant l’érotisme
des corps aux figures paysagères.
Stéphane LE COUËDIC: Joies et tristesses
de la chair
"La Chair est triste, hélas!..." ou comment la poésie
évoquant la chair, du XVIIIe au XIXe siècles, a pu refléter
l'évolution de la société comme des courants littéraires.
Si ce qui est le plus romantique au mauvais sens du terme peut trouver
sa source dans une conception d'un amour éthéré...,
il serait bon d'examiner l'autre côté du miroir de l'amour:
celui qui trouve son siège dans la chair. Cette littérature
refléterait d'autres aspects de la création et de l'époque
dans toute son amplitude du joculatoire à l'éjaculatoire.
Francis MARCOIN: Graziella,
corps équivoques, cœurs incertains
Il nous semble que, dans la littérature romanesque
du XIXe siècle, et principalement dans le sillage
du romantisme, on peut parler d'un objet "jeune fille",
lequel n'est évidemment pas à confondre
avec la jeune fille objet. L'écrivain ambitionne
de voir plus clair qu'elle-même dans la jeune fille
mais ne parvient souvent qu'à ébaucher
une statue dans laquelle se trouve pétrifié le refus
de ses propres désirs. Dans Graziella notamment,
on observera non seulement la très lisible ambigüité
des sentiments, mais bien plus encore le regard équivoque porté
sur la différence des sexes, et d'abord dans le prologue, marqué
par la question du travestissement. Ce regard équivoque
est lié à un mouvement lui-même contradictoire
de la part du poète, contaminé par cette ambigüité
et qui s'efforce d'être comme cette jeune fille tout en
ne pouvant que l'éprouver comme un objet énigmatique.
David MARTENS: Eros
romantique, imaginaire nobiliaire et thanatographie dans Spirite
de Théophile Gautier
Si La Morte amoureuse relate la relation érotique
et amoureuse entre un prêtre et une vampire, la
scène énonciative en fonction de laquelle la
fable se donne à lire fonctionne elle-même sur le mode
vampirique. Mordu par Clarimonde, le narrateur devrait être
affecté par le mode d'être de son ancienne amante.
Si le récit n'indique explicitement rien à cet
égard, c'est que cette altération ne se traduit pas
chez ce repenti par un attrait pour le sang, mais bien plutôt
par un traitement de la parole qui confine au vampirisme par rapport
à l'auditeur de son histoire. L'imaginarisation de la transmission
d'un fluide corporel vital figurant la vie en même temps que
le désir détermine les coordonnées d'une conception
du rapport de l'auteur au lecteur (figuré par l'auditeur du
prêtre qui rapporte son histoire a posteriori). L'analyse de
ce mode d'autoreprésentation du récit conduira, plus
largement, à s'interroger sur l'imaginaire de l'écriture
qui sous-tend l'attrait de Gautier pour une représentation
de l'éros romantique empreinte de surnaturel.
Christophe MEURÉE: Désir désastre:
l’écartèlement lamartinien entre passé et avenir
Flaubert, déjà, reprochait à Lamartine
de ne jamais exposer le désir charnel et de s’en tenir à
une pureté absolue (Lettre à Louise Collet d’avril
1852). Cette réputation n’a jamais vraiment quitté le
poète des Méditations et on réduit souvent son
œuvre à cette image pieuse. Toutefois, sous le vernis lisse de
la chaste mélancolie lamartinienne se dessine, comme en filigrane,
ce que la psychanalyse contemporaine appelle la "logique désirante".
Pour lui donner son plein éclat, il est cependant nécessaire
de procéder à une analyse serrée de la configuration
temporelle à l’œuvre chez le poète, où le passé
(dans lequel se niche l’objet de la mélancolie) et l’avenir (vers
lequel porte la tension du désir) écartèlent le
sujet lyrique davantage selon un principe de jouissance que de souffrance.
Selon l’axe d’une logique désirante, la configuration temporelle
lamartinienne, dont Georges Poulet avait déjà relevé
quelques paradoxes (notamment à travers la figure de "l’évanouissement"),
se propage depuis les premiers recueils, jusqu’aux textes de la maturité,
y compris en prose. Ainsi, à partir d’une lecture croisée
des Méditations poétiques et de Graziella,
il devient possible de mettre au jour un modèle singulier d’équilibre
entre les aspirations du cœur et les appels du corps.
Guillaume
PAJON: Amants, malheureux amants: violence et courtoisie
dans Madame Putiphar de Pétrus Borel
Publié
en 1839, l’unique roman de Pétrus Borel, intitulé
Madame Putiphar, met en scène jusqu’à l’excès
les stéréotypes de l’amour romantique,
électif et exclusif, tout entier sous le joug de ce
cœur palpitant que toujours le malheur, nécessairement,
désire. C’est l’enjeu même du livre que de confronter
un idéal romantique — cet amour électif forcément
contrarié — aux violences du monde chargées de défaire
ce qui jamais n’a eu l’espoir d’être construit. Ainsi,
l’auteur mêle le discours courtois de l’amour entre Déborah
et Patrick et un discours de la violence — faite au corps et à
l’âme — dont la concomitance signifie le poids de malédiction
qui pèse sur ce cœur romantique, amoureux et souffrant.
Nous montrerons, de manière poétique et narratologique,
par l’analyse des discours de la violence et de la courtoisie,
comment cet idéal littéraire, symptôme
d’une nostalgie de ce qui ne fut jamais, est subverti par la violence
du réel. Ici, le corps désirant affronte le cœur romantique.
Emilie PEZARD: "Est-ce vous qui changez l’amour en frénésie?"
– Le romantisme frénétique entre idéalisme et
cynisme
Entre 1850 et 1950, alors que tombait dans l’oubli l’appellation
"genre frénétique" inventée par Nodier en 1821,
l’adjectif "frénétique" était utilisé de façon
privilégiée par les critiques pour rendre compte de deux
modalités essentielles de l’amour romantique: son excès
et sa violence. Or la violence horrifique, paradoxalement, joue deux rôles
contradictoires dans les rapports problématiques entre sentiment
amoureux et désir. La frénésie amoureuse permet
d’abord de sacrifier le désir à une conception idéaliste
de l’amour, qui atteint une forme de pureté macabre. Mais la violence
joue aussi, à l’inverse, un rôle de désublimation:
loin de résoudre la contradiction entre pureté et désir,
elle souligne le caractère insoluble de leur antagonisme. Le
conflit entre idéal et réel aboutit alors à une
conception cynique des rapports amoureux, dominés par la toute-puissance
d’un désir égoïste, tandis que l’amour idéal
est dénoncé comme une illusion. L’abandon du romanesque hérité
du roman noir au profit d’un réalisme accru nourrit ce désenchantement,
qui n’est que la forme négative de la religion de l’amour: le
cynisme romantique, sous-tendu par le désespoir et la révolte,
apparaît comme l’envers de l’idéalisme.
Esther PINON: La fange et le ciel: corps et religion
dans l'œuvre d'Alfred de Musset
Il s’agira d’examiner les liens qu’entretiennent, chez Alfred de
Musset, la religion et la perception du corps. On montrera comment il
réagit aux interdits posés sur le corps par la religion
chrétienne, tantôt en les intégrant comme malgré
lui, d’où un sentiment de malaise et de culpabilité, tantôt
en se révoltant et en cherchant un rapport au corps plus harmonieux
(dont le modèle serait notamment fourni par le paganisme antique),
tantôt en subvertissant ces mêmes interdits par une relecture
des représentations chrétiennes du corps (avec, par exemple,
une certaine érotisation du corps du Christ).
Marie RASONGLÈS:
Quête idéale et désir romantique
chez Théophile Gautier
Il est, chez le romantique, chez Gautier, deux aspirations
distinctes et toutefois parfaitement complémentaires:
la beauté plastique, la pureté esthétique,
la fascination devant un idéal féminin sans
cesse éconduit, sans cesse imaginaire, et le désir
physique, non contenu, l'appel des corps, la sexualité
primitive comme seule fin en soi. L'une et l'autre s'opposent
et se confondent dans les écrits gautiériens,
subtils mariages de réalisme et de fantastique. Si l'idéal
relève de l'imaginaire, la femme mortelle, réelle,
serait quant à elle débauchée, libidineuse
et s'adonnerait sans retenue aux plaisirs de la chair.
Vincent TAVAN: "Dans
la vallée de Gomorrhe, la rosée tombe la
nuit sur la mer Morte" - Imaginaire métalittéraire
du désir romantique
Le romantisme est un courant qui peut se définir,
notamment, autour de la question du désir. Le "cœur
romantique" semble s’exprimer par une mise en tension entre
les désirs du corps et les aspirations idéales
de l’esprit. C’est-à-dire que le romantisme ne se
définit pas par une ambiguïté, encore moins
par un paradoxe, mais par une symbiose créatrice, par
une unité dynamique de l'imaginaire. Dans cette perspective,
le jugement de Chateaubriand sur Lélia de George
Sand invite à une interrogation plus large sur l’ensemble
des œuvres françaises de la période: "Lélia,
pénible à lire, [...] est néanmoins un chef-d’œuvre
dans son genre: de la nature de l’orgie, il est sans passion,
et il trouble comme une passion; l’âme en est absente, et
cependant il pèse sur le cœur; la dépravation des maximes,
l’insulte à la rectitude de la vie, ne sauraient aller plus
loin; mais sur cet abîme l’auteur fait descendre son talent:
dans la vallée de Gomorrhe, la rosée tombe la nuit
sur la mer Morte" (Mémoires d’Outre-Tombe). Cette
réflexion n’est pas sans rappeler la conception de l’art théâtral
développé par Victor Hugo dans sa préface à
Lucrèce Borgia. L’objet de cette étude consiste
à rapprocher cette série d’ambivalences constitutives
du Romantisme (Cœur/Corps, Idée/Matière, Sublime/Grotesque)
afin de saisir le mouvement d’émergence d’un pôle
à l’autre. S’appuyant sur les œuvres déjà citées,
ainsi notamment que sur La Peau de chagrin de Balzac
et sur Emmeline de Musset, cette communication entend mettre
à jour ce qui, dans l’exposition et la jouissance d’un corps
désirant, établit et exalte un cœur romantique. Il
s’agira de dégager un véritable complexe de culture,
au sens bachelardien, qui anime la topique du désir romantique.