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DU MARDI 1er SEPTEMBRE (19 H) AU MARDI
8 SEPTEMBRE (14 H) 2009
CONVENTIONS : L'INTERSUBJECTIF ET LE NORMATIF
DIRECTION : Olivier FAVEREAU
COMITÉ D'ORGANISATION
: Philippe BATIFOULIER, Franck BESSIS, Guillemette
DE LARQUIER, Ariane GHIRARDELLO, Delphine REMILLON
ARGUMENT :
Depuis le numéro fondateur de la Revue économique
en 1989, l’économie des conventions caractérise
une démarche de recherche en sciences sociales
qui veut restaurer l’interdépendance perdue entre "coordination",
" rationalité" et "valeurs". En vingt ans, les travaux
appliqués se sont accumulés, dont beaucoup menés
par une nouvelle génération de chercheurs. C’est
le moment de transformer en "connaissance commune" et de capitaliser
l’apport de ces travaux, pour deux raisons liées:
- les débats internes
et externes autour de cette branche de la tradition institutionnaliste
ont révélé l’importance analytique de
nouveaux outils/domaines d’investigation, comme les notions
d’intersubjectivité et de normativité,
de nature à enrichir l’interaction avec des programmes
voisins (par exemple la sociologie économique ou l’économie
du droit);
- la crise économique actuelle
se manifeste chaque jour davantage comme procédant
précisément d’une défaillance de
la normativité et d’un dysfonctionnement du régime
d’intersubjectivité, propres à la
phase néo-libérale du capitalisme des trente
dernières années.
Il s’agira donc de rassembler
et de confronter des réflexions d’inspiration
conventionnaliste (au sens large du terme), abordant directement
ou indirectement des questions d’ordre dynamique,
telles que l’action publique, le changement social, la diffusion
de nouveaux modèles d’entreprise, les innovations juridiques,
les transformations institutionnelles des marchés
— avec, en arrière-plan, cette conjecture paradoxale:
sans référence aux conventions, une part
essentielle de la crise resterait inintelligible.
CALENDRIER DÉFINITIF :
Mardi 1er septembre
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre,
des colloques et des participants
Mercredi 2 septembre
Rendre la crise intelligible
Matin:
André ORLÉAN:
La crise financière comme crise de la convention d’évaluation
Antoine REBÉRIOUX:
Crise financière et gouvernance d’entreprise
Après-midi:
Sabine MONTAGNÉ:
Du capitalisme fiduciaire au paternalisme libertaire: les
mésaventures de la prudence d’investissement
Sophie
HARNAY: La concurrence juridique: où en sont les
analyses économiques du droit?
Christian BESSY: Droit, formes
d’organisation et marché des services juridiques
Soirée:
Table Ronde : La démarche
"économie des conventions": vingt ans après
Jeudi 3 septembre
Relire les coordinations
usuelles
Matin:
Rouslan KOUMAKHOV:
Psychologie économique des conventions
John
LATSIS et Ismaël AL AMOUDI: La normativité des conventions
arbitraires
Après-midi:
Michaël PIORE: Un tournant dans la politique économique
et sociale américaine: une leçon de l'économie des conventions,
une leçon de l'école des conventions
Guillemette de LARQUIER et Emmanuelle
MARCHAL: Recrutement: réagencer les épreuves
de sélection pour bousculer les files d’attente
Laurent THÉVENOT:
Contre les conventions: embarras critiques
Soirée:
Discussion sur l’intersubjectif
et le normatif autour de Michaël PIORE
Vendredi 4 septembre
Fondements normatifs
de l’action publique
Matin:
Philippe BATIFOULIER: Faire
payer le patient. La dérive de la politique de santé
Nicolas
CASTEL: Aux fondements des politiques sociales:
les enjeux salariaux de la réforme des retraites
Après-midi:
Robert
SALAIS: L’action publique et ses conventions: connaître,
délibérer, évaluer
Daniel URRUTIAGUER: Service public
et marchés dans le spectacle vivant en France
Delphine REMILLON:
Repenser les politiques d’insertion pour lutter contre le chômage
d’exclusion
Soirée:
Discussion sur l’intersubjectif
et le normatif autour de Bruno LATOUR
Samedi 5 septembre
Mutations des marchés
et institutions du travail
Matin:
Bénédicte
MARTIN: Conventions & Le Monde de l'Art
François EYMARD-DUVERNAY: Les pouvoirs de valorisation
Géraldine RIEUCAU: Trouver ou créer son emploi:
les logiques de recours aux réseaux et aux institutions
Après-midi:
DÉTENTE
Dimanche 6 septembre
Matin:
Mutations des marchés
et institutions du travail (suite)
Ariane GHIRARDELLO:
La discrimination: comportements et représentations
Franck BESSIS: L'idéologie des conventions:
intersubjectivité contre normativité?
Après-midi:
Mutations des marchés
et économie industrielle
Kevin MELLET:
La guerre des mondes (de production)
Arnaud LE MARCHAND: Désintégration
des entreprises de réseaux et convention: Aller-Retour
Franck COCHOY: Humour de crise
et performativité
Soirée:
Discussion sur l’intersubjectif
et le normatif autour de Jean DE MUNCK
Lundi 7 septembre
Matin:
Mutations des marchés
et économie industrielle (suite)
Olivier BIENCOURT: Comment évaluer
la qualité d’un bien qui n’est pas une marchandise?
La qualité en santé
Sylvie LUPTON: Commerce
équitable et signaux: entre information et illusion
Aprés-midi:
Emmanuel KESSOUS: Internet
et les conventions de la rencontre amoureuse
La théorie économique:
formation d’une idéologie, formatage d’une réalité
François VATIN: Evaluer - valoriser
Nicolas POSTEL: La RSE, une fragile
innovation institutionnelle
Soirée:
Table Ronde : L’enseignement
de l’économie des institutions et de la sociologie
économique: un projet commun? (avec la participation
des doctorants)
Mardi 8 septembre
Matin:
La théorie économique:
formation d’une idéologie, formatage d’une réalité
(suite)
Alain LOUTE: De la
reproduction des conventions à la créativité
normative: Ricoeur et les actes excessifs
Olivier FAVEREAU: Keynes, l’économie
des conventions et la responsabilité politique des
économistes face à la crise
Après-midi:
DÉPART DES PARTICIPANTS
RÉSUMÉS :
Philippe BATIFOULIER:
Faire payer le patient. La dérive de la politique
de santé
Le secteur de la santé connaît une crise
économique d’une autre ampleur que la crise financière
mais dont les racines sont semblables. L’incapacité à
réduire les dépenses tout en activant de nouvelles
inégalités (d’accès aux soins notamment) révèle
une crise de régulation qui repose sur une mécanique unique:
la volonté, portée par un Etat interventionniste, de faire
de la santé, un secteur marchand. La construction d’un marché
en santé est portée par un objectif d’efficacité
(la réduction des dépenses) qui s’oppose à celui
de l’équité (dans l’accès aux soins). C’est
le cas, par exemple quand le développement des mécanismes
de co-paiement (ticket modérateur, déremboursements),
en transférant des frais de santé vers le patient, conduit
à des phénomènes de renoncement aux soins
pour raison financière. La politique de santé est alors
à la recherche de critères équitables de rationnement.
Cette quête de légitimité de la politique publique
a une résonance toute particulière en matière de
santé du fait de l’exigence éthique qui accompagne la délivrance
des soins. L’omission coupable que le secteur de la santé était
dominé par des valeurs conduit à des dysfonctionnements:
la réduction des dépenses par la mise à contribution
du patient active de nouvelles inégalités qui exigent
de nouveaux dispositifs. Quand de nouvelles dépenses se conjuguent
avec de nouvelles inégalités, la régulation
du système de santé peut être qualifiée de
déficiente au regard même des objectifs qui sont affichés.
Cette crise de régulation peut être lue comme une crise
du régime des idées qui anime la représentation
orthodoxe d’un "bon" système de santé.
Christian
BESSY: Droit, formes d’organisation et marché des services
juridiques
La juridicisation des relations économiques
et sociales, sinon leur judiciarisation, a entraîné
l’accroissement des activités de services juridiques et a
progressivement transformé leur mode d’organisation. Plus
récemment, le projet de la Commission européenne
est porteur d’une libéralisation du "marché des services"
par la suppression des restrictions professionnelles analysées
comme des freins à la concurrence. Nous proposons de partir
du cas de l’ordre professionnel français des avocats pour
rendre compte de ces différentes transformations institutionnelles
et des formes d’organisation de leurs activités qui les
concrétisent. Au-delà (et en lien avec) des facteurs
économiques, comme la globalisation des activités,
nous voudrions montrer que ces évolutions sont également
le produit d’une conception plus individualiste du droit renvoyant
à une philosophie politique libérale où la défense
des droits dits individuels remplacerait la politique, au sens de la
gestion des tensions entre différentes prétentions au
bien commun.
Olivier
BIENCOURT: Comment évaluer la qualité d’un bien
qui n’est pas une marchandise? La qualité en santé
S’il est un objet qui, en pratique comme en
théorie, focalise attention et réflexion, c’est
bien la qualité. Dans le champ académique de
l’économie, ce (re)questionnement des hypothèses
fondatrices suite à une (ré)intégration
de la variable qualité est l’un des faits marquants de la fin
du XXème siècle. Suite aux travaux pionniers des
marginalistes, s’était peu à peu imposé un cadre,
cohérent et rigoureux, dans lequel deux variables, et seulement
deux, assuraient la coordination des mécanismes économiques:
les prix et les quantités. Les postulats retenus avaient
alors conduit à exclure du champ de l’analyse toute la problématique
de la qualité. Tel n’est plus le cas actuellement. Mais la
(ré)intégration de cette dimension s’est cependant
faite dans deux directions opposées. Dans le champ néoclassique,
elle s’est effectuée sous l’angle du traitement d’une information
asymétrique, par le biais du développement de la théorie
des incitations. La qualité a alors été introduite,
mais non la question de la définition de la qualité.
Cette seconde dimension est, au contraire, le point d’entrée
retenu par des approches non standard. Le programme de recherche
de "l’Economie des Conventions", que l’on mobilisera ici, suppose
un accord préalable des agents sur une même définition
de la qualité comme préalable à la réalisation
d’un échange.
La pertinence de cette question est renforcée
quand le produit est un service, c’est-à-dire quand il
n’a pas d’existence propre en dehors d’une relation donnée.
Bien sûr, la théorie économique standard ne
s’arrête pas à cette distinction entre produit et service,
estimant que l’appareil d’analyse retenu est apte à appréhender,
sans distinction, l’un et l’autre. Il est pourtant intéressant
de relever que, lorsqu’il devient utile de mobiliser des exemples,
ces derniers nous renvoient assez fréquemment vers des services
à l’instar de ce que constate Coestier (1996, p. 14): "les consommateurs
sont capables, la plupart du temps, de ne donner qu’une évaluation
vague et partielle de la qualité des services fournis par
un médecin, un avocat, un plombier...". Selon nous, la référence
à des services, plutôt qu’à des biens matériels,
s’explique par le fait que, dans le cas d’un bien, la qualité
est davantage de l’ordre d’un savoir-faire que d’un savoir. L’étiquette
"médecin", si elle atteste de la possession d’un diplôme,
en dit peut-être moins sur le "bien" que l’étiquette
"poulet" apposé sur un produit alimentaire, du fait du caractère
singulier de la relation patient — médecin.
La relation de santé trouve sa particularité
dans le rôle d’expert joué par le médecin, qui le
conduit à être "juge et partie (...) prescripteur du besoin
au niveau du diagnostic et producteur de biens au niveau du traitement"
(Batifoulier, 1990, p. 402). De plus, le résultat ne peut
être séparé des personnes. D’où la difficulté
à l’évaluer objectivement.
Si ces questions ont, sur un plan théorique,
été régulièrement évoquées
depuis l’émergence de l’économie de la santé,
les débats actuels sur l’organisation du système
de santé français viennent les éclairer différemment.
La problématique désormais récurrente du financement
est en mesure de modifier la perception que les différents
acteurs du système de santé avait de la qualité.
A une logique comptable s’opposerait, au sens fort du terme, une
préoccupation de qualité des soins.
On se propose d’isoler les déterminants
qui agissent sur l’appréhension de la qualité
de chacun des acteurs (patient, soignant, financeur). On cherchera
ensuite à repérer les conditions qui rendraient
possibles l’émergence d’un compromis, c’est-à-dire
d’une nouvelle acception partagée de ce qu’est la qualité
en santé.
Nicolas CASTEL: Aux
fondements des politiques sociales: les enjeux salariaux
de la réforme des retraites
La réforme des pensions, en les indexant sur
les prix, en gelant les taux de cotisation, en distinguant le contributif
et le non contributif, en augmentant la durée de la carrière
complète, s’emploie à interrompre leur évolution
vers la poursuite du salaire pour les remplacer par un dispositif
non salarial conjuguant revenu garanti, revenu différé
de prévoyance et rente de la propriété financière.
Après avoir présenté sur un mode "clinique" les
principaux éléments de la réforme des retraites
depuis la fin des années 1980, l’auteur soumettra au débat
une interprétation en termes d’enjeux salariaux du déplacement
qui s’opère aujourd’hui en matière de pensions de vieillesse.
Franck COCHOY: Humour
de crise et performativité
La théorie linguistique de la performativité
propose de s'intéresser à la façon dont les mots
se replient sur les choses. Pour cette raison et sous l'impulsion
de Michel Callon, cette théorie a fortement intéressé
les études sociales de l'économie, qui y ont vu le moyen
de dépasser l'opposition classique entre faits économiques
et constructions sociales: armée de la théorie de la
performativité, la sociologie des marchés ne vise plus
à statuer sur le caractère vrai ou faux, réel
ou construit des théories économiques, mais à montrer
comment et dans quelles conditions ces énoncés finissent
par façonner les contours mêmes des pratiques marchandes.
Toutefois, les situations de crise remettent en cause le suivi des phénomènes
de performation, dans la mesure où ces situations embrouillent
ou dissolvent par définition l'ensemble des liens que l'on croyait
avoir retracés ou établis entre formulations savantes et
pratiques profanes. Est-ce à dire qu'en situation de crise plus
rien n'est performable ou performé? Non bien sûr, mais pour
reprendre leur cours, les phénomènes de performation doivent
emprunter d'autres voies. La présente contribution s'intéresse
au rôle de l'humour qui, en prenant acte de la crise à négative
comme le manque de main d'œuvre au cours de la deuxième guerre
mondiale, ou positive comme l'introduction du libre-service, une innovation
porteuse de gains de productivité invente, un langage propre à
apprivoiser les ruptures d'énonciation et à réinventer
les chemins susceptibles de renouer (mais aussi de remanier profondément)
le lien entre les mots et les choses. L'étude repose sur un dépouillement
systématique du magazine américain de l'épicerie
de détail Progressive Grocer sur la période 1929-1959,
et plus précisément sur l'analyse d'une série
de dessins humoristiques publiés dans cette revue au cours de
cette période.
Sophie
HARNAY: La concurrence juridique: où en sont les
analyses économiques du droit?
L’analyse économique du droit analyse
les évolutions juridiques principalement comme le
résultat d’un processus de concurrence entre règles
de droit et juridictions. Dans le cadre analytique de cette regulatory
competition, le processus de concurrence est en général
considéré induire un effet uniformisateur sur les règles
de droit, par le biais d’une course vers le haut (race to
the top) ou vers le bas (race to the bottom) se traduisant
par la convergence des différentes règles de droit.
Les évolutions des droits des sociétés aux Etats-Unis
et, dans une moindre mesure, en Europe, sont par exemple censés
témoigner de cette convergence.
Au-delà de la discussion sur les
effets réels ou supposés de la concurrence
entre règles de droit, l’objectif de la contribution
est de mettre à jour certaines hypothèses, modèles
et représentations implicites véhiculés
par ces analyses de la concurrence juridique, ainsi que de
souligner la difficulté d’une transposition analogique trop
directe du concept de concurrence dans le domaine des règles
de droit. On propose également d’analyser certaines implications
normatives des analyses économiques du droit pour le
droit européen des sociétés, dans un contexte
où la crise économique est aussi une crise de la régulation
juridique.
Emmanuel KESSOUS: Internet
et les conventions de la rencontre amoureuse
La thèse de cette communication peut être
résumée par la formule provocatrice suivante: bien
qu’ils soient conçus dans ce but, l’usage des sites de rencontre
sur Internet ne permet guère plus de réussite pour
les candidats motivés pour une rencontre durable que la fréquentation
assidue du métro parisien, en raison notamment d’une mauvaise
gestion du privé. La critique portera moins sur "l'économisation"
de la relation amoureuse, reconnaissant en cela que toute forme de
relation amoureuse contient une forme d’économie et de calcul,
que sur la forme particulière de coordination retenue par
ces sites pour mettre les individus en relation. S‘inspirant des bourses
d‘offre et de demande, les sites de rencontres sont au cœur du conflit
de valeurs entre les données comme attribut de la personne et
comme information sur les marchés. Ces sites posent trois problèmes
qu'il est possible de mettre en lumière avec les catégories
d'analyse de l'économie des conventions. Premièrement,
la recherche d'appariement pose un problème de rationalité,
c'est-à-dire d'existence de méta-données permettant
l'opération d'interprétation. Ce problème est
le symétrique de celui que connaît le recruteur qui ne se
fie plus au CV ou au diplôme pour juger des qualités et
des compétences d'un candidat, mais relève sur Internet
des informations non professionnelles sur lui (photos festives ou commentaires
amusés) et en déduit des éléments sur ses
aptitudes professionnelles. Deuxièmement, le processus attentionnel
sollicité par les sites engendre des états émotionnels
particuliers qui, s'ils peuvent être adaptés à
la captation marchande (notamment parce qu'ils s’appuient sur le désir
de possession et son renouvellement), le sont moins aux processus de sublimation
et de focalisation, par lesquels certaines approches psychologiques tentent
d’expliquer le sentiment amoureux. Enfin, l'enchainement des régimes
d‘engagement, du virtuel au réel, relance l‘épreuve de réalité.
Sur ces sites, il assez facile de basculer d’un statut passif d’observateur
à celui de participant à une action collective (par exemple,
en dialoguant lors d’un, voire de plusieurs, chats simultanés).
La difficulté provient du changement de cadre que constitue la rencontre
dans un espace public (café, cinéma...) au cours de laquelle
les individus doivent choisir s’ils décident ou non de se revoir.
A l’abri de l’ordinateur, les individus sont plus facilement conduits
à dévoiler leur intimité. Au café, le dialogue
se fait plus réservé et, en même temps, certaines informations
(par exemple l’âge, la taille, l’apparence physique) sont requalifiées.
Les données privées dévoilées lors de l’interaction
virtuelle sont confrontées à celles que renvoie l’individu
réel. Un autre problème provient de la temporalité
nécessaire pour construire le lien. L’épreuve se joue souvent
en une seule fois où les individus ne sont pas forcement dans la
meilleure représentation de soi. Se reconnecter au site après
la rencontre en face à face et répondre à de nouveaux
candidats est une façon indirecte de clore définitivement
l’interaction avec la personne précédente.
Guillemette de LARQUIER
et Emmanuelle MARCHAL: Recrutement: réagencer les épreuves
de sélection pour bousculer les files d’attente
L’organisation des épreuves de sélection par les
entreprises a des effets déterminants sur la mise en valeur des
qualités des candidats à l’emploi, et partant, sur le chômage
de longue durée. Des auteurs montrent en ce sens qu’une partie
des chômeurs n’a pas l’occasion de rencontrer et de s’entretenir
avec des employeurs potentiels (Simonin, 2000), comme si leur exclusion
se jouait en amont de cette étape du recrutement. En utilisant une
enquête quantitative (Ofer, 2005) et des travaux plus qualitatifs
portant sur l’utilisation de la méthode de recrutement par simulation
par Pôle emploi, notre objectif est d’analyser la façon dont
s’articulent les formes de coordination et de valorisation des personnes
sur le marché du travail. Nous chercherons à montrer que le
réagencement des épreuves de sélection (en particulier,
en neutralisant le CV comme moyen de présélection à
distance et en menant une évaluation au plus près des situations
de travail) peut permettre de bousculer les files d’attente du chômage.
Ce constat va à l’encontre de l’introduction de procédures
normées et plaide pour une diversification des épreuves de
sélection afin d'obtenir une diversité des candidats recrutés
au sein des entreprises.
John LATSIS et Ismaël AL AMOUDI:
La normativité des conventions arbitraires
Nous proposons une réflexion philosophique et méthodologique
sur la nature des conventions en partant du constat qu’une forme sociale
X est dite conventionnelle lorsqu’elle remplit deux conditions pouvant sembler
contradictoires. D’une part, X est normative au sens faible du terme:
je dois respecter X toutes choses étant égales par ailleurs.
D’autre part, dire de X qu’elle est une convention implique également
que X est arbitraire dans la mesure où une autre forme sociale Y
aurait aussi bien pu servir de convention. Cette caractérisation
des conventions nous amène à étudier leur nature
tant d’un point de vue synchronique que dans une perspective diachronique.
L’étude synchronique s’attache à identifier les multiples
mécanismes à travers lesquels les conventions sont re/produites.
Nous proposons notamment que l’intérêt individuel représente
un mécanisme parmi de nombreux autres. Les agents peuvent également
respecter une convention par devoir ou du fait de la peur ou de l’habitude.
Outre ces facteurs personnels, nous suggérons également l’existence
de mécanismes structurels qui expliquent la persistance des conventions.
L’étude diachronique repose sur les travaux d’ontologie sociale
réalistes critiques (Bhaskar 1979, Lawson 1997, 2003). Dans cette
perspective, les conventions rendent possible et, du même fait, contraignent
les activités individuelles. Trois conséquences s’ensuivent.
Premièrement, l’adoption de nouvelles conventions doit être
analysée comme une transformation des conventions (pré)existantes.
Deuxièmement, l’évolution d’une convention doit être
étudiée tant au niveau des événements qu’aux
niveaux de la conscience subjective des participants et des formes et relations
sociales. Troisièmement, nous soulevons des questions relatives à
l’identification des conventions lorsque celles-ci sont ambigües ou
fluctuantes. Enfin, notre communication discute la portée de nos
arguments. D’un point de vue théorique, nous précisons la
caractérisation initiale des conventions à la fois normatives
et arbitraires. D’un point de vue méthodologique, nous examinons
certaines implications de notre travail pour des projets de recherche appliquée
tels que l’étude de l’industrie de la mode menée par Storper
et Salais (1997).
Arnaud LE MARCHAND: Désintégration
des entreprises de réseaux et convention: Aller-Retour
La désintégration des entreprises dites de "réseau"
a engendré de nouveaux usages, une renaissance du travail mobile
et de nouvelles fragmentations des territoires. Elle semble contenir
de nouveaux risques de désaffiliations et de crises. Cette désintégration
fut justifiée par le développement des NTIC qui semblaient
régler les problèmes d'information, qui, eux, avaient
justifiés les statuts anciens de ces entreprises. Les NTIC permettraient
de séparer les différentes couches des réseaux,
tout en permettant une régulation efficace, car informée.
C'est un effet de la "convention internet" des années 2000 et
une mise en cohérence avec l'hypothèse d'efficience des
marchés. Cette séparation des différentes couches
d'un même réseau a néanmoins fait l'objet de critiques
récurrentes, provenant d'ailleurs de plusieurs points de vue,
notamment quant à sa généralisation. Cette désintégration,
comme l'intégration antérieure, apparaît comme une
"convention de représentation" parmi d?autres possibles. Les contestations
de ces justifications se sont glissées elles aussi dans la problématique
des réseaux et notamment des réseaux sociaux. Les relations
entre les individus sont mises en formes par des modèles de réseaux
"désintégrés", à la fois rassembleurs et
excluants. Les appréciations intersubjectives sont alors médiatisées
par des normes ad hoc, créant des communautés plus ou moins
durables et en détruisant d'autres. L'acteur se perçoit
comme impliqué dans divers réseaux, exclu d'autres, et développe
ses stratégies comme un joueur en ligne. On procédera en
examinant divers textes et situations exemplaires de ce processus. En
paraphrasant Labrousse, on pourrait dire que nos sociétés
ont les crises de leurs représentations dominantes.
Kevin
MELLET: La guerre des mondes (de production)
Notre communication s'appuie sur une analyse empirique des
régies présentes sur le marché de la publicité
en ligne français. Nous mettons en évidence les
différentes conventions de qualité qui encadrent
l'activité de ces intermédiaires. Ce résultat
nous permet tout d'abord de nuancer les analyses actuelles
qui prédisent l'automatisation complète du marché,
via la généralisation des technologies de ciblage
et d'enchères. De plus, l'examen des dispositifs qui soutiennent
ces conventions de qualité, ainsi que de leurs rapports
de forces, nous permet d'expliquer plusieurs caractéristiques
des prix : leur opacité, leur dispersions et leurs fluctuations.
Références
Bibliographiques :
M. Callon, F. Muniesa, 2005, "Economic
Markets as Calculative Collective Devices", Organization
Studies, 26, (8), p.1229-1250.
D. S. Evans, "The Economics of the
Online Adverstising Industry", Review of Network Economics,
7/3, 2008.
F. Eymard-Duvernay, "La qualification
des produits", in R. Salais et L. Thévenot (dir.),
Marchés, Règles, Conventions, Paris,
Economica, 1986.
E. Goldman, 2006, "A Coasean Analysis
of Marketing", Wisconsin Law Review, 1151-1221.
R. Salais, M. Storper [1997], Worlds
of production: The Action Frameworks of the Economy,
HUP.
Nicolas POSTEL: La RSE, une fragile
innovation institutionnelle
L’article porte sur les liens entre éthique et RSE. Il propose
une définition opérationnelle de l’éthique fondée
sur le concept de rationalité communicationnelle dans une optique
institutionnaliste-pragmatique (se revendiquant de l’approche conventionnaliste).
Sur cette base il distingue et jauge les différentes modalités
contemporaines visant à associer éthique et efficacité
au sein du capitalisme: paternalisme, fordisme, RSE. A la lumière
de cet éclairage conceptuel et historique il propose d’interpréter
la RSE comme une forme conventionnelle en cours d’institutionnalisation.
La réussite de ce processus d’institutionnalisation, qui dépend
principalement du comportement des consommateurs, est la condition sine
qua non de l’existence d’une authentique dimension éthique au
sein des démarches de RSE. L’existence de firmes responsables ne dépend
pas des firmes elles-mêmes... mais des conventions qui les entourent.
Delphine REMILLON:
Repenser les politiques d’insertion pour lutter contre le chômage
d’exclusion
La tendance actuelle est au développement des actions
d’accompagnement en direction des demandeurs d'emploi et plus particulièrement
de ceux présentant des risques élevés de chômage
de longue durée. Si quelques travaux ont établi un lien
positif entre le niveau quantitatif d’offre de services et le taux de
retour à l’emploi, il n’existe que peu d’évaluations des prestations
d’accompagnement en elles-mêmes. Le travail d’évaluation
de la méthode IOD (Intervention sur les Offres et les Demandes)
que nous avons réalisé, peut être utilement mobilisé
pour repérer "ce qui fonctionne" pour favoriser le retour en emploi.
Elle est basée sur l’idée que "personne n’est inemployable",
bien qu’elle s’adresse particulièrement aux chômeurs considérés
ailleurs comme non directement employables, notamment aux chômeurs
de longue durée peu qualifiés. Elle est guidée
par le refus de toute action déconnectée d’un objectif concret
de retour à l’emploi. Le principe de la méthode IOD est
d’expliquer le chômage par les opérations de sélection
trop contraignantes et discriminantes, notamment pour les personnes non
qualifiées et âgées. Cette vision est congruente avec
celle de l’économie des conventions qui s’intéresse aux questions
d’évaluation sur le marché du travail et distingue un régime
de chômage fondé sur la sélection.
Robert SALAIS:
L’action publique et ses conventions: connaître,
délibérer, évaluer
L'objectif de cette contribution est simple: faire
progresser, pour analyser l'action publique, la connexion entre
des champs de recherche habituellement séparés: l'économie
des conventions, l'histoire des catégories de l'action publique,
les théories de la justice. La contribution est centrée
sur le concept de "base informationnelle de jugement en justice"
et ses diverses interprétations.
Daniel
URRUTIAGUER: Service public et marchés dans le
spectacle vivant en France
La mission de service public dépend
du compromis dans les conventions liées à la
politique culturelle, tournée vers la prise en charge
économique de besoins tutélaires. Elle articule
dans le spectacle vivant la recherche d’une qualité artistique,
au-delà des facilités commerciales, et la démocratisation
de l’accès à la culture lettrée. Portée
initialement par le ministère des Affaires Culturelles, elle
se heurte à des tensions liées à la multiplication
de spectacles au cycle de vie raccourci, la diversité des pratiques
culturelles, la contestation libérale des subventions de l’offre,
la crise de financement du régime d’assurance chômage
des intermittents, la stratification des réseaux de production
et de diffusion selon le degré de notoriété des artistes.
Avec le soutien de EconomiX (UMR 7166 CNRS et université
Paris X),
et de l’école doctorale
396 "économie, organisations, société"
(université Paris X
et école nationale supérieure des mines
de Paris)