RÉSUMÉS :
Johann ARNASON: Autonomie, maîtrise
et création ; conflits et métamorphoses de l'imaginaire moderne
L’analyse de l’imaginaire chez Castoriadis peut être lue comme une
approche nouvelle du conflit culturel entre les lumières et le romantisme,
et comme une esquisse de synthèse des thèmes critiques des
deux côtés. Le rapport avec l’imagination créatrice souligne
la dimension “romantique” de l’idée d’autonomie; en même temps,
les projections imaginaires de la maîtrise rationnelle distinguent
la logique de la domination des courants contestataires qui remontent aux
lumières. Mais "l’institution duale" de la quête de la maîtrise
rationnelle et du projet d’autonomie exige une analyse approfondie qui mettrait
l’accent sur les conflits des interprétations. Les significations
imaginaires de la maîtrise et de l’autonomie, ainsi que leurs rapports
mutuels, sont ouverts à de multiples interprétations qui ont
influencé les formations idéologiques et institutionnelles
de la modernité. Les métamorphoses du capitalisme moderne doivent
être comprises comme des combinaisons changeantes des deux significations,
plutôt que comme des expressions d’une poussée constante à
la maîtrise ; plus généralement parlant, on ne peut pas
comprendre les vicissitudes du libéralisme — y compris sa remontée
récente — sans tenir compte de sa capacité de développer
et d’imposer des interprétations de l’autonomie.
Fabio CIARAMELLI: La question de la
signification entre création et interprétation
Ce qui rend la vie humaine et qui, par là même, assure la
médiation originaire entre le psychique et le social-historique (contrairement
au discours qui domine aujourd'hui sur la soi-disant "biopolitique", visant
d'une manière incohérente à une relation directe et
immédiate entre "bios" et "polis"), c'est l'institution. Castoriadis
a insisté à maintes reprise sur la source radicalement imaginaire
de celle-ci, à savoir du symbolique. Cela signifie que le domaine
de la signification ne relève pas de l'ordre de l'interprétation
(présupposant forcément un sens prédonné, se
livrant progressivement au regard herméneutique), mais bel et bien
de l'ordre de la création. Ma contribution s'attachera à développer
les implications philosophiques de cette préséance ontologique
de la création collective des significations par rapport à
l'ordre dérivé de l'interprétation.
Olivier FRESSARD: Puissance de l'imaginaire:
perspectives pratiques
"Institution imaginaire de la société" signifie que chaque
société vient à l’existence par la création
ex nihilo d’un monde social propre qui est l’incarnation d’un "magma
de significations imaginaires sociales".
Castoriadis propose ainsi une théorie où l’imaginaire acquiert
une puissance de création proprement démiurgique. Ce pouvoir
de faire être des mondes radicalement autres est
ipso facto
la source de la clôture culturelle de chaque société.
Cette conception, pour laquelle les significations sont irréductibles
à l’explication causale, met l’accent pour la compréhension
de l’autre sur la cohérence interne des totalités singulières
et sur les ruptures historiques.
On s’interrogera ici, en particulier, sur les conséquences pratiques
de cette thèse pour l’action orientée vers autrui, plus précisément
pour les relations entre les sociétés dès lors que
celles-ci sont réputées être radicalement autres.
Andreas KALYVAS: Hétéronomie,
aliénation, idéologie: Castoriadis et la question de domination
Le point central de l’œuvre de Castoriadis est le concept d'autonomie.
On ne saurait contester l’importance de sa redécouverte de l’autonomie
; mais il manque à sa compréhension de la politique et de
la démocratie une élucidation de l’hétéronomie
qui ait la même force. Ce manque affaiblit la radicalité de
son projet politique de trois façons intimement liées. Premièrement,
l’approche théorique de Castoriadis ne prend pas pleinement en compte
les formes de domination et les relations asymétriques de pouvoir.
Deuxièmement, l’effet critique de ses analyses du capitalisme, du
libéralisme et de la représentation politique dans l’Etat moderne
reste incomplet dans la mesure où elles minimisent le rôle des
structures matérielles d’oppression. Enfin, le dépassement de
l’hétéronomie semble être dans son approche essentiellement
une question de perception, d’éducation et d’imagination éclairée,
plutôt qu’un problème d’élimination de relations concrètes,
économiques et socio-politiques, d’assujettissement et d’exploitation.
Ma présentation se conclura par une tentative de reconstruction utilisant
les concepts et les arguments de Castoriadis pour développer à
travers son approche théorique une notion de l’hétéronomie
qui intégrera les fonctions coercitives de l’Etat libéral et
du marché capitaliste...
Philippe RAYNAUD: Castoriadis et l'héritage
grec
Dans les débats contemporains sur les rapports entre "Anciens et
Modernes", Castoriadis occupe une place singulière ; il est profondément
"grec" par sa manière d’affirmer le caractère "architectonique"
de la politique et par son affirmation de l’autonomie de la philosophie
à l’égard du "nomos", mais il ne s’inscrit dans aucune des
deux traditions dominantes chez ceux qui plaident pour le "retour aux Anciens":
il insiste sur les divisions de la
philosophie grecque et sur le
conflit entre Platon et Athènes, il ne fait pas de la Cité
une "belle totalité". On s’attachera à analyser le rapport
original de Castoriadis à la tradition grecque, en insistant
sur sa vision des rapports — et du conflit — entre Platon et Aristote.
Gérassimos STEPHANATOS:
Repenser la psyché comme imagination radicale
A partir de la conception freudienne et l'apport "antinomique" de
Freud à la question de l'imagination, l'
Einbildung, Castoriadis
thèmatise l'élément imaginaire constituant de la psyché.
Sa définition de la psyché comme imagination radicale, c'est-à-dire
essentiellement comme émergence de représentations ou flux
représentatif/affectif/intentionnel non soumis à la déterminité,
implique des conséquences ontologiques, logiques, métapsychologiques,
mais aussi une redéfinition de la psychanalyse comme activité
pratico-poétique et une nouvelle conception du sujet.
Nous insisterons sur l'apport de Castoriadis à la psychanalyse,
et plus précisement à sa théorie de la représentation
et de la fantasmatisation qui rencontre, à notre sens, celle de l'activité
représentative pictographique chez Piera Aulagnier. Nous envisagerons
également la relation du "Je" avec des significations "imaginaires
sociales", dans le cadre de sa théorisation du processus de la socialisation
nécessaire de la monade psychique.
Fernando URRIBARRI: Les carrefours
de la sublimation: de la socialisation à l'autonomie
La notion freudienne de sublimation, centrale dans la pensée de
Cornelius Castoriadis, est reprise et re-élaborée tout au
long de son œuvre d’une façon très originale mais pas très
systématique. Dans le chapitre VI de
L'Institution Imaginaire
de la société la notion de sublimation est replacée
et modifiée à travers sa double articulation avec l'imagination
radicale de la psyché et le processus de socialisation. Par
conséquent certaines dimensions fondamentales du processus sublimatoire
sont revisitées méta-psychologiquement: son objet — défini
comme "signification imaginaire sociale" — sa topique, son économie
etc. Dans son œuvre ultérieure la notion de sublimation sera enrichie,
directement et indirectement, par le rôle que Castoriadis lui
confère dans sa théorisation du sujet humain, notamment dans
son rapport avec la passion, la réflexion et la subjectivité
autonome. Je voudrais donc d'abord présenter et argumenter l'idée
selon laquelle il y a, chez Castoriadis, une conception élargie de
la sublimation, que j'essaierai d'esquisser et d'articuler méta-psychologiquement.
Puis, je discuterai les conséquences décisives de cette conception
sur l'élucidation de la question de la créativité et
l'autonomie individuelles.
Harald WOLF: Renouvellement ou crise de
l'imaginaire capitaliste?
Cette contribution met en question l’imaginaire capitaliste : son noyau
chez Castoriadis — maîtrise (pseudo)rationnelle, organisation bureaucratique
— et ses métamorphoses contemporains. On a parlé d’un "nouvel
esprit du capitalisme“ (Boltanski/Chiapello): organisation en réseau
des projets, autonomie relative du travail. Ces mutations de l’idéologie
managériale et le développement correspondant de l’institution
de l’organisation et du travail signifient-ils un véritable renouvellement
de l’imaginaire capitaliste? Ou bien ces changements, avec leurs contradictions
et leurs limites, sont-ils, au contraire, l’indice d’une crise profonde
de la capacité d’innovation et de mobilisation des significations
imaginaires sociales centrales du capitalisme?