DU LUNDI 11 JUILLET (19 H) AU LUNDI 18 JUILLET (14
H) 2005
WALTER BENJAMIN, TRAVERSÉES
DIRECTION : Bruno TACKELS
ARGUMENT :
Walter Benjamin est la
figure même du paradoxe. En effet, comment une même
œuvre peut-elle engendrer, sur le plan philosophique, esthétique
et politique, des analyses à ce point antagonistes? L’Ecole
de Francfort n’a eu de cesse de se prétendre l’héritière
fidèle de Benjamin (alors qu’elle le soupçonnait
de ne pas "tenir la ligne", de son vivant), tandis que l’univers politique
et poétique de Brecht n’a eu de cesse de revendiquer l’apport
crucial de Benjamin.
En France, de la même
façon, Benjamin est tantôt convoqué par les tenants
d’un renouveau rationaliste, tantôt réinterrogé
par les penseurs du messianisme, quand il n’est pas, plus ou moins souterrainement,
au cœur du travail des penseurs de la déconstruction. Cette
polyvalence à l’œuvre dans la philosophie benjaminienne ne
doit pas être occultée. Elle fera même l’enjeu
majeur de ce colloque. Elle nous fera prendre conscience que la
pensée, la haute pensée, est toujours l’enjeu
d’une bataille, parce qu’elle préfère, aux dogmatismes
de tous crins, le risque vivant du questionnement.
Dans cet esprit, les invités
sont donc représentatifs de courants de pensées
très différents, et provenant d’activités
intellectuelles fortement contrastées. Des gestes plastiques
seront également présentés, par des artistes
qui se sont nourris de l’écriture et de la pensée
de Walter Benjamin. S’organiseront également des soirées
de lectures — avec des acteurs qui éprouvent un lien fort
avec Walter Benjamin, tant cette écriture s’apparente
à une véritable langue de poète, qui attend
d’être portée et entendue oralement.
CALENDRIER DÉFINITIF :
Lundi 11 juillet
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du centre, du colloque et des participants
Mardi 12 juillet
Matin:
Bruno TACKELS: P2P. L'œuvre d'art à l'époque
de la reproductibilité des droits et des auteurs
Hervé JOUBERT-LAURENCIN:
André Bazin, le cinéma comme Benjamin
Après-midi:
Maurice de GANDILLAC: Souvenirs de traducteur
Mercredi 13 juillet
Matin:
Marianne DAUTREY: Le
drame d’une pensée hantée
Stéphane MOSÈS:
Walter Benjamin et le romantisme allemand (texte lu)
Après-midi:
Philippe IVERNEL: Walter Benjamin et la question du théâtre,
entre hier et demain
Daniel DŒBBELS: La déclamation muette
Jeudi 14 juillet
Matin:
Georges-Arthur GOLDSCHMIDT:
Walter Benjamin et les Allemands
Philippe IVERNEL: Walter Benjamin et la question du théâtre,
entre hier et demain (suite)
Jean-Louis DÉOTTE:
La question de la technique et des appareils
Après-midi:
Pierre-Damien HUYGHE: Vers
une esthétique de l'urbanité
Ilaria BROCCHINI:
Walter Benjamin: traces, transfiguration, architectures
Vendredi 15 juillet
REPOS
Soirée:
Projection: Le Polyèdre Benjamin
de Xavier JUNCOSA I GURCUI
Samedi 16 juillet
Matin:
Anne ROCHE: Passage du livre
Jean LACOSTE: Walter Benjamin:
des lieux de mémoire
Nathalie RAOUX: Walter Benjamin, le passant de Pontigny
Après-midi:
Antonia BIRNBAUM: L'étudiant
infatigable
Robert KAHN: "Une ruse de
la Providence": Benjamin et Auerbach, une 'Histoire' commune
Soirée:
Projection: Le Polyèdre Benjamin
de Xavier JUNCOSA I GURCUI
Dimanche 17 juillet
Matin:
Marc SAGNOL: Enfance, kitsch
et mannequins. L’expérience magique de Walter Benjamin
et Bruno Schultz
Michaël LÖWY: Walter
Benjamin et Max Weber. Le capitalisme comme religion
Après-midi:
Marino PULLIERO: Benjamin et l'expérience du mouvement
de la jeunesse
Christophe JOUANLANNE: Le double jeu de la traduction (lectures
d’Antoine Berman et Françoise Proust)
Soirée:
Projection: Le Polyèdre Benjamin
de Xavier JUNCOSA I GURCUI
Lundi 18 juillet
Matin:
Clôture des travaux et débat
Après-midi:
DÉPART DES PARTICIPANTS
RÉSUMÉS :
Antonia BIRNBAUM: L’étudiant
infatigable
Dans « La vie des étudiants »,
Benjamin qualifie leur misère à partir d’une notion
temporelle. Les étudiants sont en sursis: les uns, noceurs,
mènent une vie dissolue sous l’épée de Damoclès
du mariage qui les attend, les autres, idéalistes, réfléchissent
sérieusement à un monde meilleur en attendant leur
entrée prochaine dans les rangs d’une profession bourgeoise.
Pour autant, Benjamin ne cède jamais sur ce qu’il considère
être l’exigence spirituelle de l’université, une pratique
de la science qui fait dérailler aussi bien le schème
professionnnel que la prétention progressiste de l’éducation.
Comment mettre en œuvre ce déraillement? Comment ajourner, au
double sens de ce terme, le sursis qui définit la vie étudiante:
refuser que les études soient seulement un bref intermède
avant la vie dite sérieuse, remettre à plus tard la procrastination
d’une science dont l’horizon est la reproduction du monde tel qu’il
est, une confirmation de son sens? Il se pourrait que ce redoublement
paradoxal du sursis dans l’ajournement soit un des seuils conduisant
vers l’urgence du présent. Pour discerner ce passage, on émettra
l’hypothèse suivante: la description de l’état de veille
nocturne des personnages de Kafka est peut-être une des clés
de la figure de l’étudiant pour qui la science prend vie dans
la fatigue de l’étude.
Références Bibliographiques :
Livres
Nietzsche. Les aventures de l'héroïsme, collection
"Critique politique", dirigée par Miguel Abensour, Editions
Payot, Paris, 2000.
Le vertige d’une pensée. Descartes crops et âme,
Editions Horlieu, Lyon, 2003.
Catalogue
"Entre tôt ou tard", in Locomotivum, catalogue
d'exposition, photograhies d'Ursula Wevers, Editions La Chaufferie,
mars 2000.
Articles
"Bewegte Bilder in einer bewegten Welt", in Leipziger
Schriften zur Philosophie 6. Philosophie und Reisen, Leipziger
Universitätsverlag, 1996.
"Transmissions d'images; éloge de la carte postale",
in Tradition, transmission, enseignement. Une relecture de la
modernité par Walter Benjamin, Ecole des Arts Décoratifs,
Strasbourg 1997.
"K. sociologue. A propos des Employés de S. Kracauer",
in Tumultes (mai 2002).
"Faire avec peu. Benjamin et les moyens pauvres de la technique",
à paraître dans Lignes Adorno/Benjamin, mars 2003.
Traduction
Theodor W. Adorno, L’actualité de la philosophie, "Société"
et "Résignation" (avec M. Métayer), in Tumultes
(mai 2002).
Ilaria BROCCHINI: Walter Benjamin:
traces, transfiguration, architectures
Cette communication cherche à expliciter ce qui constitue une
théorie de la trace chez Walter Benjamin, théorie
non finalisée et considérée par le philosophe lui-même
comme le pendant de celle de l’aura. Cette théorie peut se résumer
en une transfiguration de l’environnement humain en images anhistoriques
et auratiques dont l’environnement lui-même ne devient plus alors
que la trace. L’architecture – au travers de ce que Benjamin nomme les
Traumhäuser – est un domaine privilégié pour l’étude
de cette transfiguration. Cela parce qu’en elle convergent le temps
présent des nouvelles fonctions spécifiques à la ville
du XIXème siècle et le temps rêvé de ses décorations
historicisantes. Selon Benjamin, un certain nombre d’architectes du Mouvement
Moderne auraient eu le pouvoir de mettre fin à cette transfiguration
en réalisant des bâtiments sans traces. A cette fin,
ces "effaceurs de traces" auraient considéré leur travail non
plus comme une création mais comme une production. Cette théorie
de la trace en tant que transfiguration de l’environnement humain
a été reprise postérieurement à Benjamin,
plus au moins consciemment, par d’autres théoriciens et philosophes
et reste encore aujourd’hui pertinente.
Marianne DAUTREY: Le drame d’une
pensée hantée
Théoricien du droit, de la littérature,
du langage, de l’histoire, littérateur, Walter Benjamin
ne fut rien de tout cela exclusivement, mais bien plutôt
tout cela à la fois. De texte en texte, une pensée
s’éprouve, un discours s’échafaude qui, par delà
son objet, se détruit sans cesse, se reconstruit et revient
sur lui-même afin de saisir le geste qui le produit.
La démarche de Walter Benjamin repose
sur une théorie de la vérité qu’il définit
à plusieurs reprises. Dans Le Livre des passages,
il l’énonce ainsi: « Il importe de se détourner résolument
du concept de "vérité intemporelle". La vérité
n’en est pas pour autant — comme l’affirme le marxisme — simplement
une fonction temporelle du connaître. Elle est attachée
au contraire à un noyau temporel qui se trouve à la
fois dans ce qui est connu et dans ce qui connaît ».
Benjamin identifie à partir de l’exercice
de sa propre pensée les possibilités de penser
le monde. De sorte qu’il marque ses textes d’un double geste
qui consiste à saisir le monde en même temps qu’il
capte le mouvement et l’histoire de la pensée qui le fait advenir.
Ceux-ci sont alors travaillés à la fois par une pensée
critique du langage et une pensée du temps — temps historique
et temps de l’énonciation ou plus exactement de l’élaboration
du texte.
Fait remarquable: au moment où les marques
de cette énonciation tendent à disparaître,
parce que, écrit-il « écrire l’histoire signifie
[…] citer l’histoire », au moment où ses textes
deviennent non plus élaboration d’un discours mais «
traduction » ou encore « citation » ou « montage
de citations », cette énonciation est le plus radicalement
problématisée.
Il sera question de cette disparition ou plus
exactement de ce retrait de l’énonciation. Racontons ce
mouvement comme une histoire parce qu’il se produit dans le temps,
comme un drame parce qu’il se joue dans un temps conflictuel ou
plus exactement dans un temps dialectique où interviennent
les figures d’auteur et de lecteur et où, de péripétie
en péripétie, les rôles et les positions
s’échangent.
Jean-Louis DÉOTTE: La question
de la technique et des appareils
L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction
technique contient deux thèses centrales, en apparence sans
rapports. Il y a, d'une part, l'idée qu'à l'époque
industrielle les œuvres d'art subissent l'épreuve de la
reproduction technique, comme si elles pouvaient être appréhendées
sans reproduction, et ce texte va porter pour l'essentiel sur le
cinéma et, d'autre part, l'idée que la sensibilité
commune est appareillée, époque après époque.
La photographie, puis le cinéma, vont déporter la réflexion
de Benjamin de l'œuvre d'art (Les Affinités électives
de Goethe) vers l'appareil, l'appareil comme soubassement
technique de l'esthétique autant que comme principe politique
émancipateur. Ce qui donne une inflexion redicalement différente
à la question de la technique puisque, selon Benjamin, la technique
innerve la vie (Fragments) pour reprendre un concept de
K. Fiedler.
Références Bibliographiques :
W. Benjamin, Fragments, PUF — Collège international
de philosophie, 2001.
W. Benjamin, « Petite histoire de la photographie »,
in Œuvres, T. 2, Folio, 2000.
W. Benjamin, « L'art à l'époque de sa reproduction
technique », in Ecrits français, Gallimard, 1991.
J.-L. Déotte, L'Homme de verre. Esthétiques
benjaminiennes, L'Harmattan, 1999.
J.-L. Déotte, L'époque des appareils, Lignes
/ manifeste, éd. Léo Scheer, 2004.
K. Fiedler, Essais sur l'art, L'Imprimeur, 2002.
K. Fiedler, Sur l'origine de l'activité artistique, Aesthetica,
2003.
B. Tackels, L'œuvre d'art à l'époque de Benjamin,
Esthétiques, L'Harmattan, 2001.
Georges-Arthur GOLDSCHMIDT:
Walter Benjamin et les Allemands
Il s'agit dans cet exposé de montrer comment
une large partie du travail de Benjamin tourne autour de la
question allemande, au sein de laquelle il est engagé,
non seulement du fait de sa biographie et de l'histoire, mais par
la façon même dont il l'aborde, tout au long de son
œuvre, depuis son essai sur la critique romantique jusqu'au recueil
de 1938 intitulé Allemands. Toute la pensée
de Benjamin est construite sur l'angoisse que lui inspire la mort programmée
de la culture européenne, prise dans ses contradictions entre
héritage romantique, exaltation de la nature comme elle
éclate en particulier en Allemagne au début du XXème
siècle et pensée rationelle et critique. Il a, comme
peut-être personne, compris à quel point le nazisme
signifiait l'éradiction aussi de toute la civilisation allemande
dans ce qu'elle représentait pour la pensée européenne.
Pierre-Damien HUYGHE: Vers
une esthétique de l'urbanité
Il y a chez Walter Benjamin, traversant ses textes
sur la photographie et le cinéma, une conception du
choc que les Notes sur quelques thèmes baudelairiens
éclairent finalement. Cette conception implique la définition
des conditions mêmes de l'expérience à l'époque
de la reproduction. Ce qui est en jeu, depuis la photographie et
le cinéma, ce n'est pas seulement une façon de voir,
c'est aussi une façon d'être vu. Au regard se substituent,
le cas échéant, la prise de vue, le coup d'œil. Ces
expériences forment une sensibilité et une esthétique
qui ne sont pas réservées au monde de l'art. Nichées
au coeur de l'urbanité, elles appartiennent aux foules modernes,
foules en cela distinctes des masses. Peu à peu c'est à
un singulier concept du commun que donne accès, au-delà
de la lettre des textes, la compréhension benjaminienne du
choc. Mon intention est de préciser ce concept.
Hervé JOUBERT-LAURENCIN: André
Bazin, le cinéma comme Benjamin
Dans un des plus violents monologues écrits
pour le théâtre au XXème siècle, et
à l’occasion d’une glaçante pointe d’humour noir
qui rapproche son théâtre de l’expérience
des limites proprement cinématographique que fut son adaptation-démarcation
de Sade intitulée Salò, Pasolini use du
nom commun que la langue italienne, en cela fondée sur la
tradition biblique, dispute au patronyme de Walter Benjamin. Ce
mot, « beniamino », désigne, en italien courant,
le fils préféré, le favori, le « petit
dernier » comme on dit en français (je dirai en quelle
occasion spectaculaire et comment, le Pasolini « écrivain
de tragédie » l’emploie). André Bazin, le plus
célèbre critique de l’histoire du cinéma, dont
l’immense autorité intellectuelle, en partie méconnue,
est fondée sur une activité d’écriture intense
qui suit exactement les années benjaminiennes (il philosophe
empiriquement à l’aide du cinéma et, en tant que journaliste,
publie tout ce qu’il écrit, entre 1941 et 1958), n’a jamais
connu le philosophe marxiste, l’ami de Brecht, ni même l’exilé
parisien et baudelairien, lui qui projeta pourtant une thèse sur
Baudelaire.
Tout juste peut-on rêver que les deux
hommes se sont croisés sans se connaître à
la Nationale en 1938 ou 1939. Je me propose de relever les premières
constatations issues d’une comparaison des deux œuvres, littérairement
et littéralement théoriques, d’André
Bazin et de Walter Benjamin, en partant de cette hypothèse
de travail, dont on peut sans restriction leur accorder la communauté,
du cinéma comme benjamin des arts.
Robert KAHN: "Une ruse de la Providence":
Benjamin et Auerbach, une 'Histoire' commune
Dans sa lettre du 3.1.1937, Erich Auerbach, en
exil à Istanbul, écrit à Walter Benjamin, réfugié
à Paris: "La situation mondiale actuelle n'est rien d'autre qu'une
ruse de la Providence, pour nous amener d'une manière douloureuse
et sanglante à l'Internationale de la trivialité et
à l'espéranto de la culture". Qu'y-a-t-il de commun entre
le philosophe "ésotérique" Benjamin et le philologue
Auerbach, si ce n'est une commune origine, la bourgeoisie juive berlinoise?
Ils avaient la même volonté de combattre cette "ruse de la
Providence" et ses effets désastreux. La lutte de Benjamin
contre l'"historicisme" et celle d'Auerbach pour redonner toute sa
place à la philosophie de Vico convergent. On peut aussi rapprocher
la conception benjaminienne de l'allégorie et celle de la Figura
selon Auerbach. Tous deux pratiquent la sociologie de la littérature,
et ils partagent le rêve d'un livre qui ne serait composé
que de citations. Enfin, ce qui rapproche les deux amis est ce qui les
sépare d'un universitaire et critique comme E.R.Curtius: celui-ci
croit en l'existence de 'topoï' qui structurent toute la littérature
occidentale de manière "transhistorique", alors que pour Benjamin
et Auerbach le langage humain et ses productions sont toujours pris dans
l'Histoire.
Références Bibliographiques :
Walter Benjamin, "Sur le concept d'Histoire", in Œuvres
3, folio Gallimard, 2000.
Erich Auerbach, Mimésis, Gallimard, 1968, Le
Haut Langage, Belin, 2004.
Ernst Robert Curtius, La littérature européenne
et le Moyen Age latin, Presses Pocket, 1991.
Jean LACOSTE: Walter Benjamin:
des lieux de mémoire
Walter Benjamin affirme que le texte d'Enfance
berlinoise intitulé "Loggias" est le meilleur portrait
qu'il puisse donner de lui-même. En quoi ce lieu de mémoire
peut-il devenir une image de la vie de Benjamin? Comment l'évocation
d'une pièce de l'appartement berlinois peut-elle devenir
une méditation sur l'exil?
Michaël LÖWY: Walter Benjamin
et Max Weber. Le capitalisme comme religion
Le fragment inédit, « Le capitalisme
comme religion » (1921) est, semble-t-il, le seul texte de
Benjamin qui se refère explicitement à Max Weber.
Son analyse du rapport entre religion protestante et capitalisme
est évidemment inspiré de l’ouvrage classique de
Weber. Le fragment est foncièrement anti-capitaliste, ce
qui est loin d’être le cas de L’éthique protestante
et l’esprit du capitalisme, mais le lien entre les deux documents
est indiscutable. Le texte de Benjamin appartient à un genre
qu’on pourrait désigner comme « les lectures anti-capitalistes
de Weber » auquel appartiennent certains textes de Lukacs,
Ernst Bloch et Erich Fromm. On retrouve, beaucoup plus tard, un dernier
écho de cette problématique dans le passage bien connu
des Thèses « Sur le concept d’histoire » (1940)
qui dénonce l’adhésion du mouvement ouvrier allemand
à l’éthique protestante du travail.
Stéphane MOSÈS: Walter
Benjamin et le romantisme allemand
Walter Benjamin n’a pas cessé, tout au
long de son œuvre, de se référer au romantisme allemand
et de l’étudier. Sa thèse de doctorat, rédigée
en 1918-1919, porte sur « La notion de critique d’art dans
le romantisme allemand ». Elle traite des théories
esthétiques de deux des auteurs les plus représentatifs
du premier romantisme allemand, Friedrich Schlegel et Friedrich Novalis.
Benjamin y analyse l’idée romantique d’une réflexion
« qui se potentialise infiniment elle-même », et
à travers laquelle la critique esthétique « s’élève
jusqu’à l’absolu ». Puis, à partir de son livre
sur L’origine du drame baroque allemand (1924-1928), qui
marque un tournant décisif dans sa pensée, il renoncera
à cette approche essentiellement métaphysique de l’esthétique
et pensera celle-ci désormais sur l’horizon d’une philosophie
de l’histoire. Dans la dernière phase de sa pensée, marquée
par sa conversion à une forme, certes très hétérodoxe,
du matérialisme historique, il publiera encore plusieurs
études importantes sur des auteurs romantiques allemands comme
Jean-Paul et E.T.A. Hoffmann, ainsi qu’un compte-rendu très
critique du livre d’Albert Béguin L’âme romantique
et le rêve. Dorénavant, il ne verra plus dans le romantisme
qu’une étape dans le processus de dissolution du monde pré-moderne
et de sa conception d’un art « auratique ».
Marc SAGNOL: Enfance, kitsch et
mannequins. L’expérience magique de Walter Benjamin et Bruno
Schultz
Cette contribution veut tenter une étude
comparée de l'œuvre de Benjamin et Schulz, deux écrivains
et penseurs d'importance majeure pour la compréhension
du XXème siècle. Outre les données biographiques
qui les rapprochent, leur œuvre présente des ressemblances
frappantes dans l'inspiration et dans l'écriture:
- l'écriture brillante, inimitable,
d'une grande perfection littéraire ;
- la représentation de l'écrivain
comme d'un enfant se mouvant dans le monde des adultes ;
- la topologie de la ville (la grande ville
chez l'un, la province chez l'autre) ;
- la pacotille, les mannequins, le kitsch et
l'explication du monde à partir de fétiches ;
- l'archéologie de la modernité,
réapparition des mythes des sociétés
primitives au cœur du capitalisme, dans les « passages
» comme dans la « rue des crocodiles ».
En conclusion, on pourrait présenter
leur rapport à Proust et Kafka comme une matrice commune de
cette inspiration.